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JOURNÉE I, SCÈNE III.

où tant d’autres ont fait leurs affaires. Que devenir ?… Voici du monde, et si j’en juge à la mine, des gens d’une classe élevée. — Ayez pitié d’un pauvre garçon abandonné qui ne s’est jamais vu dans une pareille situation[1].

l’amiral.

Si tu veux rentrer, car voilà que le soleil commence à baisser sur l’horizon. — je vais appeler quelqu’un pour qu’on t’amène un cheval. — Holà !

pedro, accourant.

Plaît-il, seigneur ?

l’amiral.

Qui êtes-vous ?

pedro.

Ce que je suis ?

l’amiral.

Êtes-vous à mon service ? Il me semble que c’est la première fois que je vous vois. Êtes-vous un de mes domestiques ?

pedro.

Si je ne le suis pas, je ne demande pas mieux que de l’être. Et à ce propos voici un petit conte. — Un beau jour, entra dans le palais de Sa Majesté un certain don Fulano qui n’était au service ni du roi ni de personne. Or, voyant qu’à l’heure du dîner tous les messieurs de la chambre dépouillaient leurs manteaux avec mille cérémonies, parce qu’ils devaient porter les viandes sur la table du roi, lui il quitta le sien pareillement, et puis entra avec les autres. Or, un majordome s’en étant aperçu, s’approcha, et lui demanda s’il avait prêté serment. Non, seigneur, répondit-il ; mais s’il ne s’agit que de cela, je prêterai serment tant qu’on voudra. De même, moi, je veux vous servir ; et s’il le faut, je prête serment, je nie, je renie, à vos souhaits.

l’amiral.

En attendant, vous vous mettez en frais de plaisanterie.

pedro.

Que voulez-vous, monseigneur ? je n’ai que de la gaieté… En somme généreux je dépense ce que j’ai.

louis, du dehors.

Ah ! malheureux !

léonor.

Grand Dieu ! quelle est cette voix ?

l’amiral.

Je vois, au milieu du fleuve un homme qui s’efforce de lutter contre le courroux des ondes.

  1. Si se doliesse de mi,
    Que soy niño y solo, y nunca en tal me vi.

    Dans une autre pièce de Calderon intitulée La niña de Gomez Arias (La jeune fille de Gomez Arias), il y a un refrain dont ces deux vers nous paraissent la parodie.