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NOTICE.

sentiment de respect qu’il ne s’explique pas et qui est un vague instinct de la piété filiale. Pour trouver des beautés du même genre que l’on puisse comparer à celles-là, il faut lire Lope ou Shakspeare.

Maintenant, quelques critiques.

Le fond de ce drame, avons-nous dit, est historique. Mais dans l’histoire, la cause première, ou, si l’on veut, le motif du drame est un adultère. À ce motif, Calderon a substitué une fausse déclaration de part ; et comme au début de la pièce, le poëte paraît annoncer un commerce criminel entre Mendo et Blanca, on est fort étonné, à la fin, d’apprendre qu’il s’agit d’un autre crime. Quelle a été l’intention de Calderon en modifiant ainsi la donnée de l’histoire ? Il aura voulu, j’imagine, surprendre le spectateur. Mais ce n’était point là, selon nous le sentiment qu’il devait chercher à produire dans une œuvre aussi grave, et dont le denoûment est si tragique.

Puisque nous parlons d’histoire, voici un autre reproche. Le roi don Pèdre, auquel l’Histoire attribue le jugement qui fait le dénoûment de cette pièce, est le roi don Pèdre Ier de Portugal, surnommé le Cruel ou le Justicier, et non pas don Pèdre d’Aragon, qui fut surnommé le Cérémonieux. Le poëte aura confondu. Que si Calderon voulait absolument mettre la scène en Espagne, mieux valait, encore choisir pour roi don Pèdre de Castille, à qui l’on a donné le même surnom qu’à son homonyme de Portugal, qui vivait à la même époque, et qui fit même avec lui un traité relatif à l’extradition mutuelle des réfugiés ; traité tout à fait digne du caractère de ces deux princes. Cela n’eût pas été plus vrai, j’en conviens, mais c’eût été plus vraisemblable[1].

Enfin, dans l’exécution de cette pièce, on pourra blâmer un certain abus de l’esprit et de l’imagination, des plaisanteries un peu déplacées et des jeux de versification qui laissent trop voir le poëte dans le moment même où il devrait le plus soigneusement s’effacer, pour ne laisser voir que les acteurs.

Eh bien, malgré tous ces défauts et malgré toutes nos critiques, les Trois Châtiments en un seul n’en sont pas moins un ouvrage qui mérite l’admiration des amis de l’art, comme tous les ouvrages où l’on trouve une grande vue d’ensemble, de la passion et de l’éloquence.



  1. Le Sage, dans le Diable boiteux (ch. vii), a raconté sommairement cette aventure et il a eu soin de mettre la scène en Portugal. On sait d’ailleurs que le Diable boiteux n’est en quelque sorte qu’une traduction espagnole.