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L’ESPRIT FOLLET.

angela.

Eh ! mon Dieu, rappelez-vous l’œuf de Gros-Jean[1]. Le problème était celui-ci : faire tenir un œuf debout sur une table de marbre poli. Les esprits les plus fins, les plus distingués, y perdirent leur savoir. Arrive Gros-Jean, qui, prenant l’œuf, lui donne un petit coup, et le voilà qui se tient droit. Tout est difficile pour qui ne sait pas ; et quand on sait, tout est facile.

béatrix.

Autre question.

angela.

J’écoute encore.

béatrix.

Qu’attendez-vous de toutes ces folies ?

angela.

Je ne sais… Je pourrais vous dire que je veux seulement lui témoigner ma reconnaissance… que c’était pour moi une distraction… Mais c’est plus que cela, je l’avoue. Ne me suis-je pas avisée d’éprouver de la jalousie en voyant qu’il garde le portrait d’une dame ?… Je suis même résolue à entrer chez lui, et à le prendre. Il y a plus : s’il faut vous l’avouer, je souhaite maintenant qu’il me voie et me parle.

béatrix.

Une fois découverte chez lui, prenez garde !

angela.

Oh ! le ciel me protégera. D’ailleurs, lui-même ne voudrait pas trahir son hôte, son ami ; puisque seulement l’idée que je suis sa dame fait qu’il m’écrit avec tant de timidité, d’inquiétude et de trouble… Mais je ne m’exposerai pas à ce péril.

béatrix.

Alors, comment vous verra-t-il ?

angela.

Écoutez. Voici ce que j’ai imaginé pour qu’il ne me voie pas dans son appartement, et qu’il vienne dans le mien sans savoir où.

isabelle.

Mettez à la marge un autre frère, car voici don Louis[2].

angela.

Je vous conterai cela plus tard.

béatrix.

Mon Dieu ! que la destinée est bizarre, et pourquoi le ciel a t-il mis entre deux mérites égaux une telle différence a mes yeux,

  1. ........Sabes
    Lo del huevo de Juanelo, etc., etc.

  2. Pon otro hermano à la margen, etc., etc.

    Il y a ici, je crois, une allusion assez fine à la manière dont s’imprimaient les comédies espagnoles ; au lieu de placer les noms des acteurs, comme chez nous, entre les lignes, on les mettait à la marge, afin de gagner de l’espace.