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LOUIS PEREZ DE GALICE.

Entre CASILDA.
casilda.

Un Portugais, fort bien mis, qui arrive à l’instant, demande à vous parler.

louis, à part.

Dissimulons. (À Casilda.) Fais-le entrer.


Entre MANUEL MENDEZ.
manuel.

Mon cher Louis Perez, si cette permission eût tardé un moment de plus, dans mon impatience de vous voir je l’aurais devancée.

louis.

Que je vous embrasse mille fois, cher Manuel… Ces nœuds, la mort pourra les rompre, mais rien ne saurait les détacher… D’où vient donc cette aimable visite ?… vous à Salvatierra !

manuel.

Oui, et ce n’est pas sans peine, ce n’est pas sans de grands dangers que j’ai pu arriver jusqu’ici.

louis.

Je serais fâché que ce voyage fût la conséquence de quelque ennui.

manuel.

Un accueil aussi amical me fait tout oublier.

louis.

Jusqu’à ce que je sache la cause de votre chagrin, le motif de votre voyage, et ce qui vous est arrivé en Portugal, vous me verrez en souci. Il est sans doute indiscret de vous questionner ainsi à la première vue ; mais mon cœur a un tel désir de partager votre affliction, qu’il faut absolument que vous me tiriez au plus tôt d’inquiétude. Allons, qu’avez-vous ?

manuel.

Prêtez-moi, je vous prie, votre attention. Vous vous souvenez, Louis Perez, — car l’absence, j’imagine, n’a pas effacé le souvenir de notre amitié, — de ce temps heureux où vous fûtes mon hôte à Lisbonne, par suite de quelques événements qui, vous obligeant à quitter la Castille, avaient valu cet honneur à ma maison. Mais il ne s’agit pas de cela en ce moment ; je viens à mon aventure. Vous vous souvenez aussi sans doute de cet amour fortuné qui enchaînait toutes mes facultés. Je n’ai pas besoin d’exalter ma passion ; je suis Portugais, c’est tout dire[1]. Doña Juana de Meneses est cet objet adoré : beauté céleste que la plus vive éloquence ne réussirait jamais à peindre ; divinité charmante à laquelle l’amour même offrirait des sacrifices comme à l’idole de son autel, comme à la déité de son temple. Deux années entières nous vécûmes dans l’union la

  1. Les Espagnols disent en commun proverbe : Amoureux comme un Portugais.