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LE SECRET À HAUTE VOIX.

fabio.

Moi, seigneur, je tiens à m’asseoir à table avec mon maître, et pour cela, je fais ce qu’il veut[1].

arnesto.

Dis-moi, avec qui Frédéric a-t-il eu querelle hier ?

fabio.

Ç’a dû être avec sa dame, parce qu’il n’aura su comment la mettre à la porte.

arnesto.

Je te ferai bien dire la vérité ; tu ne m’échapperas pas.

fabio.

Un docteur médecin étant à la chasse, et un de ses amis lui ayant dit : « Voilà un lièvre qui est couché, prêtez-moi votre arquebuse, que je le tire avant qu’il se lève ; » le docteur répondit : « Ne craignez pas qu’il se lève ; car puisqu’il est couché et que je viens de le voir, il ne se lèvera pas. »

arnesto.

Je suis charmé, Fabio, de vous voir de bonne humeur en ce moment.

fabio.

Je suis toujours de même.

arnesto, à la Duchesse.

Quoi ! vous ici, madame ?

la duchesse.

Oui, mes ennuis m’ont fait descendre au jardin. Que se passe-t-il ?

arnesto.

Je suis allé cette nuit exécuter vos ordres ; mais comme je n’ai pu par la ruse le retenir chez lui, je l’ai arrêté prisonnier, et je l’ai laissé chez lui sous bonne garde.

la duchesse.

Oui, certes, on l’a fort bien gardé.

arnesto.

J’ai parcouru la campagne pour voir si j’y trouvais l’homme qui devait l’attendre. J’ai trouvé seulement près du pont son valet Fabio, qui se tenait là avec deux chevaux, et ne voulant pas qu’on sût que son maître était prisonnier, j’ai pensé à le conduire chez moi, et le faisant entrer par cette poterne dont j’ai toujours une clef.

fabio.

Est-ce que j’ai offensé personne pour avoir tenu des chevaux[2] ?

  1. Allusion au proverbe espagnol : Fais ce que t’ordonne ton maître, et tu t’assiéras à table avec lui.
  2. … En qué agravia
    A nadie tener caballos
    Un hombre ?

    Je soupçonne qu’il y a ici une plaisanterie d’un goût fort équivoque sur le double sens du mot caballo, 1o cheval et 2o poulain, sorte de maladie difficile à définir.