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JOURNÉE III, SCÈNE II.


Scène II.

Une autre chambre dans la maison de don Juan.
Entrent DOÑA BÉATRIX et DON DIÈGUE
don diègue.

Quoi ! Béatrix, m’envoyer chercher, ne pas craindre que l’on me voie entrer chez vous en plein jour, faire garder votre appartement et me recevoir dans celui de votre frère ! voilà de singulières précautions. Est-ce de votre part bienveillance ou perfidie ?… est-ce pour mon bien ou pour ma perte ?

béatrix.

Ne vous étonnez pas de ce changement, seigneur don Diègue, et non plus de ce que je puis vous recevoir à cette heure dans ma maison… Quant à l’appartement de mon frère, si je l’ai choisi de préférence au mien, c’est que j’attends aujourd’hui une visite de Violante, et je ne veux pas qu’elle vous voie… Non, don Diègue, vous n’avez rien à craindre de moi ; et loin de vouloir vous imposer mon amour, je ne pense plus qu’à seconder de tout mon pouvoir celui que vous ressentez pour une autre. Je veux vous servir en amie, n’aspirant plus à un autre titre qui appartient à une dame plus heureuse.

don diègue.

Lorsque j’ai reçu votre billet, j’ai éprouvé des doutes… lorsque j’ai vu comment vous me receviez, de nouveaux doutes me sont venus ; les discours que vous me tenez m’en donnent d’autres encore. Je ne sais plus où j’en suis, et je vous prie de vous expliquer.

don carlos, à part.

Que penser de ceci ? Parlent-ils de leurs ennuis ou des miens ? — Écoutons.

béatrix.

Si vous ne me comprenez pas, seigneur don Diègue, quoique je vous parle fort clairement, c’est que vous ne voulez pas me comprendre ; mais pour que vous m’entendiez enfin, je vais tout vous dire… Léonor a pour vous abandonné la maison paternelle, perdu ses parens, son repos, son honneur… Don Juan a le droit de se plaindre de vous ; don Carlos est offensé ; moi, vous le savez, je pourrais aussi vous adresser des reproches, soit à cause de votre abandon injurieux, soit à cause de l’insulte que vous avez faite à ma maison… enfin, pour achever, le père de Léonor est à Valence. De toutes parts vous êtes entouré de dangers ; et avec tant d’ennemis réunis contre vous, il vous faut ou vous décider à périr, ou épouser Léonor. Vous l’aimez, elle partage vos sentimens : et lorsque tout conspire votre perte, votre mariage avec elle sauve tout. Me comprenez-vous maintenant ?