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JOURNÉE II, SCÈNE I.

benito.

Ça doit être un enchantement… Moi prince ! moi Frédéric de Cécile[1] ! Pourquoi donc veulent-ils me changer comme ça ?

le roi.

J’hésite entre la vengeance et la pitié. D’un côte, la colère m’anime, — de l’autre, la situation de l’infante me commande l’indulgence. Que faire ? — (Haut.) Votre altesse pense, sans doute, que, l’ayant en mon pouvoir, je vais venger d’un seul coup les injures de son père et les siennes propres ; mais elle ne connaît pas mes sentimens, et j’ai plus de clémence dans mon cœur qu’elle ne devrait en attendre. Toutefois vous demeurerez prisonnier.

benito.

Moi !… Et quel mal ai-je donc fait, s’il vous plaît, en mettant cet habit ? est-ce que je ne pouvais pas le prendre, lorsque je l’ai trouvé dans la forêt, au pied d’un arbre, comme un champignon ?

le roi.

Votre altesse ne nous abusera pas ; elle ne nous trompera pas en jouant ainsi tour à tour le rustre et l’insensé. Des nuages ont beau s’interposer devant le soleil, il n’en est pas moins facile à reconnaître. Que votre altesse prenne confiance en moi, et qu’elle se console de l’abandon de la fortune inconstante.

benito.

Oh ! oui, vous avez raison, la fortune est une coquine[2]. Eh bien ! si l’on veut, qu’on reprenne cette armure et qu’on me donne ma casaque. Je vous jure que vous faites erreur ; je ne suis pas le prince Chilpéric de Cécile[3].

roberto.

On se trompe évidemment, et je suis tenté d’accréditer l’erreur générale… d’autant que j’empêche par là qu’on n’envoie d’autres troupes à la recherche du prince. (Haut, à Benito.) Que votre altesse me permette d’embrasser ses genoux. Même en présence du roi, je ne puis me contenir, et je suis heureux de montrer mon dévouement et ma fidélité.

benito.

D’où vient donc que vous vous mettez à mes pieds et que vous me les baisez ? Je n’aime pas ça du tout, pour ma part, et pour la vôtre je ne vois pas le plaisir que vous pouvez y trouver.

roberto.

Oh ! votre altesse n’a pas besoin de se déguiser davantage.

  1. Au lieu de dire Federico de Sicilia, Benito dit dans l’espagnol Enrique de Cecina, littéralement, Henri de Salaison.
  2. Le roi vient de dire de la fortune qu’elle est dudosa, légère, inconstante ; et Benito entend golosa, gourmande.
  3. Que no soy, aunque lo piensen,
    El principe Simborrico
    De Sencilla.