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LE PIRE N’EST PAS TOUJOURS CERTAIN.

béatrix.

Oui, seigneur don Diègue, c’est en vain que vous exagérez les tourmens de l’absence, vous ne pourrez jamais exprimer ce que j’ai souffert, moi toujours amante et toujours fidèle. (À part.) Combien j’ai de peine à cacher mon ressentiment !

don diègue, bas, à Ginès.

Vive Dieu ! elle ne sait rien.

ginès, bas, à don Diègue.

Comment vouliez-vous qu’elle l’eût appris ?

béatrix.

Comment vous êtes-vous trouvé du séjour de Madrid ?

don diègue.

Comme un homme éloigné de ce qu’il aime ; et dans cette situation, il n’y a qu’un seul plaisir à l’absence.

béatrix.

Lequel, je vous prie ?

don diègue.

De penser que l’on reverra l’objet aimé.

béatrix.

Le perfide !… La jalousie me ronge le cœur, et la rage me suffoque[1] ! (Haut.) Où en est votre procès ?

don diègue.

Je l’ai laissé au même point, l’état de ma santé m’ayant forcé de revenir.

béatrix.

Vous étiez donc malade ?

don diègue.

Oui, de ne point vous voir.

béatrix.

Il y a d’autres choses à voir à Madrid. Les dames n’y sont-elles pas aimables et charmantes ?

don diègue.

N’en ayant regardé aucune, je ne saurais en donner mon avis.

béatrix.

Aucune ?

don diègue.

Demandez plutôt à Ginès. — N’est-il pas vrai, Ginès, que j’ai été d’une constance exemplaire ?

ginès.

Ma foi ! oui, madame, mon maître a été si constant, que je l’ai vu au moment de mourir d’amour.

béatrix.

Cela est possible ; mais pour qui ?

don diègue.

Et pour qui donc vouliez-vous que ce fût ?

  1. Littéralement : « J’ai dans le cœur un aspic, et autour du cou une corde. »