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JOURNÉE II, SCÈNE I.

cendie qui devait s’allumer dans ces montagnes, furent des vols, des pillages d’églises, des violences, des assassinats et des sacrilèges. Grenade, baignée dans son sang, suppliait le ciel de lui venir en aide au milieu de tant d’infortunes. La justice accourut d’abord pour faire tout rentrer dans l’ordre ; mais les magistrats se virent repoussés ; et alors, après les préparatifs nécessaires, échangeant leurs insignes pacifiques contre l’épée du soldat, ils durent opposer la force à l’insubordination, et ce qui n’avait été dans le principe qu’un acte de résistance, devint une guerre civile. — Le corrégidor fut tué. La cité, comprenant le danger, appela aux armes les Grenadins, et convoqua la milice du pays ; cela ne suffit pas. La fortune, toujours amie des nouveautés, se déclara pour les rebelles, et des malheurs plus grands se joignaient chaque jour à ceux que nous avions déjà éprouvés. Nos craintes redoublèrent, leur orgueil redoubla en même temps, et le mal s’accrut de toutes parts. On sait maintenant qu’ils attendent des secours d’Afrique ; et si ces secours arrivent, nos forces, obligées de se partager pour s’opposer à leur entrée, seront d’autant affaiblies. Il est même à redouter que leur succès n’amène des conséquences fâcheuses dans les autres parties de la monarchie : les Morisques de l’Estramadure, ceux de la Nouvelle-Castille et de Valence n’attendent peut-être pour se soulever que l’annonce d’une victoire. — Et pour vous montrer qu’à leur courage et à leur résolution ils joignent des connaissances politiques, je dois vous dire un mot de leur gouvernement ; ce sont des renseignemens que nous tenons de quelques prisonniers… Ils eurent d’abord l’idée de se choisir un chef, et comme il y avait quelques difficultés sur le choix entre don Fernand de Valor et don Alvar Tuzani, qui ne lui est pas inférieur par la naissance, don Juan Malec maintint le bon accord en donnant la couronne à Fernand, à condition qu’il épouserait la charmante Isabelle, sœur de Tuzani. (À part.) Qu’il m’est pénible de rappeler le nom de ce Tuzani, lequel est presque roi puisque sa sœur est reine ! (Haut.) Aussitôt que Valor fut couronné, la première chose qu’il ordonna, soit pour rompre plus complètement avec nous, soit pour satisfaire aux désirs des Morisques, ce fut l’abolition de nos cérémonies religieuses, ainsi que de tous les noms chrétiens ; et pour donner l’exemple, il se fit appeler Aben-Huméya, nom des rois de Cordoue, desquels il tire sou origine. Il défendit, en outre, de parler d’autre langue que l’arabe, de porter d’autre costume que le costume africain, et de suivre d’autre culte que celui de Mahomet. Ensuite il fit la répartition de ses forces : Galère, la ville la plus rapprochée de vous, dont les remparts et les fossés ont été faits par la nature avec tant d’art qu’il est impossible de s’en rendre maître sans y perdre beaucoup de monde. Galère fut placée sous le commandement de Malec, père de Clara, aujourd’hui nommée Maléca. Il donna à Tuzani, Gabia la Haute, et lui-même il se tint à Berja, qui est en quelque sorte le