Moi, mon sang et ma vie.
Tous, tous, nous mourrons s’il le faut.
Et moi, au nom de toutes les Morisques de Grenade, j’offre nos joyaux, nos parures.
Moi, avoir seulement une petite boutique à Bibarrambla[1], et dans la boutique, de l’huile, du vinaigre, des figues, du poivre, des noix, des amandes, du raisin sec, de l’ail, des oignons, du piment, du sel, des balais, du fil, des aiguilles, du papier, du tabac. Moi emporter mon fonds sur mes épaules, et quelque jour moi devenir comte, marquis, ou duc de tous les Alcouzcouz du monde.
Tais-toi, tu es fou.
Moi n’être pas fou.
Eh bien ! alors tu es ivre.
Moi n’être pas ivre non plus. Notre seigneur Mahomet défendre dans son Alcoran de boire du vin ; et pour rien au monde moi vouloir en mettre dans mon œil. Mais si par hasard il en tomber dans ma bouche, moi l’avaler.
Scène II.
Laisse-moi, Béatrix, laisse-moi pleurer, et au milieu de tant de peines et d’ennuis, que du moins mon infortune se soulage un peu par des larmes. Puisque je ne puis me venger de celui qui vient d’enlever à ma famille son antique honneur, laisse-moi gémir sur l’affront qui est à l’avenir mon seul héritage ; et s’il ne m’est pas permis de tuer, que du moins il me soit permis de mourir… Misérables femmes que nous sommes ! combien la nature s’est montrée cruelle envers nous ! Les plus grands dons qu’elle nous accorde, c’est l’esprit, c’est la beauté ; et ces dons qui souvent ont mis en danger notre honneur ne l’ont jamais protégé ! Nous sommes exposées tous les jours à compromettre la gloire d’un père, d’un époux, et jamais nous n’avons pu la rétablir !… Que ne suis-je née homme ! Aujourd’hui Grenade aurait vu si ce Mendoce, qui n’a pas craint de
- ↑ Faubourg de Grenade.