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AIMER APRÈS LA MORT,
ou
LE SIÈGE DE L’ALPUJARRA.

(AMAR DESPUES DE LA MUERTE Y EL SITIO DE LA ALPUJARRA[1].)



NOTICE.


Ainsi que l’indique ce double titre, le drame que l’on va lire contient deux actions ; comme elles sont toutes deux historiques, nous devons consacrer cette notice à rappeler au lecteur des souvenirs qui peuvent n’être pas présent à sa mémoire ; et nous allons commencer par ce qui a rapport, sinon à la principale action, du moins à la plus générale.

Depuis que l’Espagne avait été reconquise par les rois Ferdinand et Isabelle, les descendans des Arabes avaient continué de vivre sur le même sol que leurs vainqueurs, et dans une situation assez douce, lorsque, le 1er  janvier 1567, fut proclamée à Grenade la pragmatique de Philippe II, qui avait pour but l’extirpation des coutumes mauresques. Cette pragmatique, à la promulgation de laquelle s’était vivement opposé le duc d’Albe lui-même, avait été conseillée par le cardinal Espinosa, et convenait à l’esprit absolu, au caractère violent de Philippe. Elle contenait contre les Morisques les conditions les plus dures : ainsi, outre celles que Calderon indique au commencement de sa pièce, il fut défendu aux femmes des Mores de sortir voilées dans les rues ; leurs maisons devaient rester ouvertes les jours où ils célébreraient quelque fête ; et l’on annonçait que les enfans des Morisques seraient enlevés à leurs parens[2]. — À la promulgation de la pragmatique, les principaux Morisques de Grenade et du royaume firent des adresses, des pétitions au président, au capitaine général, au roi. Ces adresses, ces pétitions furent inutiles. Comme, de plus, il se virent en butte à toute sorte de vexations, ils résolurent de recourir aux armes ; parti extrême auquel s’étaient déjà décidés leurs frères des classes inférieures. On employa près de deux années en préparatifs, et au mois de décembre 1568 le soulèvement éclata dans l’Alpujarra. D’abord les insurgés eurent l’avantage. Mais vers la fin de 1570 la division s’étant mise parmi eux, ils furent battus, et les amnisties accordées par le pouvoir achevèrent de les dissoudre. Ainsi ont commencé et fini chez nous la révolte des Cévennes et l’insurrection de la Vendée.

Nous allons maintenant faire connaître, d’après les plus anciennes traditions, les événemens sur lesquels est fondée la principale intrigue du drame et qui ont motivé le premier titre. Le récit que l’on va lire est extrait de l’ouvrage

  1. Le premier titre de la pièce, qui est, comme on voit, traduit littéralement de l’espagnol, ne signifie pas aimer après qu’on est mort, mais, aimer encore après la mort de l’objet aimé.
  2. Cette dernière imputation était une calomnie contre Philippe II ; mais, comme on l’a observé avant nous, l’idée n’en fut pas perdue, et plus d’un siècle après, cette disposition fut une de celles qui suivirent la révocation de l’édit de Nantes.