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LE PIRE N’EST PAS TOUJOURS CERTAIN.

béatrix, à part.

Est-il une destinée plus cruelle ?

inès.

Voilà qu’elle recommence à le lire. D’où peuvent naître des impressions si différentes ? Est-ce que ce serait, par hasard, le brouillon d’une comédie qu’elle compose ?

béatrix.

On a bien eu raison de dire que la plume était un aspic plein de fureur, et l’encre un noir poison qu’elle répand sur le papier ! Je le sais mieux que personne à présent, moi que cette lettre a tuée. Quel tourment je souffre !

inès.

Eh bien, madame ?

béatrix.

Quoi ! tu étais là, Inès ?

inès.

Je viens d’entrer, et j’ai vu tous les divers sentimens qui vous agitent. Qu’est-ce donc qui vous émeut si fort ?

béatrix.

Je puis te le dire, ne serait-ce que pour soulager ma douleur. — Tu te souviens que don Diègue Centellas me fit long-temps la cour ?

inès.

Sans doute.

béatrix.

Tu sais que reconnaissante des soins assidus qu’il me rendait, je répondis à son amour ?

inès.

Fort bien.

béatrix.

Tu sais encore que malgré l’illustration de sa naissance, il ne voulut pas se déclarer à mon frère, jusqu’à ce qu’il connût l’issue d’un procès qu’il est allé suivre à Madrid ?

inès.

Oui, madame ; après ?

béatrix.

Eh bien, Inès, son domestique, qui m’a des obligations, m’écrit cette lettre, d’où il résulte clairement que don Diègue est amoureux à Madrid, et que le procès qui l’a appelé dans cette ville est un procès d’amour. Mais cette lettre te dira mieux sa trahison, et combien j’ai raison de m’affliger. (Elle lit.) « Madame, pour m’acquitter de ma promesse, qui était que je vous avertirais de tout ce qui se passe, j’ai l’honneur de vous faire savoir que mon maître a eu une rencontre avec un autre cavalier dans la maison d’une dame de cette ville, qu’il a été blessé et laissé pour mort ; qu’il a passé deux jours sans connaissance et en prison. Grâces à Dieu, il va