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JOURNÉE III, SCÈNE I.


Entrent LE ROI et le Cortège.
le roi, à un seigneur de sa suite.

Le commun peuple s’est, dit-on, installé dans le jardin qu’on appelle le Jardin du roi, afin de jouir du coup d’œil que présentera l’armée à son départ. Il n’importe ; je ne veux pas demeurer jusqu’à demain à Lisbonne. Que toutes les troupes soient averties que nous nous mettrons en marche cette nuit.

Le seigneur salue et se retire.
don lope, à part.

Je n’aborde le roi qu’en tremblant. Non seulement mon malheur me désole ; mais il me cause un embarras, une honte… Il me semble que tout le monde connaît ma disgrâce et me montre au doigt. (Au Roi.) Permettez, sire, que je vous baise les pieds.

le roi.

Ah ! don Lope d’Almeyda, si j’avais votre épée en Afrique, j’aurais bientôt triomphé de l’insolence des Maures.

don lope.

Comment ! mon épée pourrait-elle demeurer dans son fourreau, lorsque vous, sire, vous tirez la vôtre ? Non pas ; j’irai mourir avec vous. Quel motif assez puissant me retiendrait en Portugal en cette occasion ?

le roi.

N’êtes-vous pas marié ?

don lope.

Oui, sire ; mais le mariage n’a point changé mes sentimens ; loin de là, il me ranimerait s’il était besoin, et m’exciterait à conquérir plus d’honneur.

le roi.

Comment ! vous laisseriez seule votre épouse, si nouvellement mariée ?

don lope.

Elle serait glorieuse, sire, de voir qu’elle vous aurait donné pour cette entreprise un soldat de plus dans son mari ; car elle a le cœur plein de noblesse et de courage ; oui, elle s’affligerait bien autrement si je n’étais pas à vos côtés, sire. Je vous servais auparavant pour ma renommée à moi seul, à cette heure ce serait pour la sienne autant que pour la mienne propre. Ainsi elle ne sera pas un obstacle à mon désir.

le roi.

Je vous crois ; mais il ne convient pas que je vous démarie si promptement. Quoique cette expédition demande le concours de tous mes vaillans, j’aurais regret de vous emmener, don Lope. Vous feriez faute en votre maison.

Le Roi sort avec sa suite.
don lope.

Dieu me soit en aide !… Qu’ai-je entendu ? que signifie ce lan-