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À OUTRAGE SECRET
VENGEANCE SECRÈTE

(A SECRETO AGRAVIO SECRETA VENGANZA.)



NOTICE.


En terminant ce drame, Calderon annonce qu’il est historique. On en retrouverait sans doute le fond dans quelqu’une de ces nombreuses chroniques qui furent publiées en Portugal et en Espagne vers la fin du seizième siècle ; mais, malgré nos recherches, nous n’avons pu découvrir cette tradition. Il nous est du moins facile, grâces à quelques détails du poète, de fixer d’une manière certaine l’époque et la date de l’action. Les deux premières journées du drame se passent dans le courant du mois de juin 1578, et la troisième journée dans la nuit du 23 au 24 de ce même mois, veille de l’embarquement du roi don Sébastien pour l’Afrique. — Ce que dit Calderon de l’empressement de la multitude à voir le départ de l’armée portugaise est conforme à l’histoire.

Il s’agit cette fois encore de la vengeance d’un mari outragé. Au seul titre de cette pièce on songe involontairement a Othello, et l’on est tenté au premier abord de comparer ensemble les œuvres des deux poètes. Bien que pour l’invention, le mouvement et la variété de l’intrigue, la comparaison ne dût pas être défavorable au poète méridional, nous protestons cependant contre le rapprochement de deux ouvrages qui procèdent d’idées tout-à-fait différentes.

Othello, c’est l’amour ardent et passionné, la jalousie crédule avec ses tourmens et ses fureurs. — A secreto agravio, c’est l’honneur, l’honneur espagnol ou portugais, susceptible, hautain, implacable.

L’avantage que Shakspeare aurait sur son rival consisterait principalement, selon nous, dans le choix plus heureux de son sujet.

Ce n’est pas que le sentiment de l’honneur repose sur des principes moins élevés, moins nobles, moins purs, que ceux desquels dérive le sentiment de l’amour et de la jalousie. L’homme étant destiné à vivre parmi ses semblables, il est beau à lui de vouloir obtenir leur estime. Mais comme l’opinion, qui distribue la louange ou le blâme, se modifie incessamment selon les temps et les pays, le sentiment de l’honneur, qu’elle dirige et domine, se modifie incessamment aussi d’après elle. Aujourd’hui il est juste et droit à son exemple ; le lendemain il s’égare et se corrompt, parce qu’elle s’est égarée et corrompue ; et alors, pour lui complaire, il s’emporte à des actes qui, approuvés dans une civilisation particulière, peuvent être avec raison condamnés dans une autre… Il suit de là que le poète qui s’est inspiré du mobile sentiment de l’honneur, s’expose tôt ou tard à n’être pas aussi universellement compris et goûté que celui qui a demandé ses inspirations aux sentimens naturels de l’amour et de la jalousie.

Après avoir fait la part du sujet, si maintenant on voulait poser le génie que les deux grands poètes ont dépensé dans leur ouvrage, même à nous