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LE PIRE N’EST PAS TOUJOURS CERTAIN.

votre esprit. — Une fois d’accord, dans le silence de la nuit, seule confidente de notre amour, nous nous parlions par une croisée de mon appartement[1] ; et bientôt, afin de ne pas éveiller l’attention de ceux qui ont la sottise d’oublier leurs affaires pour se mêler de celles des autres, je consentis à vous recevoir dans la chambre d’une de mes suivantes, où nous pouvions causer sans être vus ; précaution insensée à laquelle je dois tous mes malheurs, et qui en m’affranchissant des craintes du dehors a amené chez moi tous les périls !… Une nuit, vous arrivez plus tard qu’à l’ordinaire ; je ne vous demanderai pas maintenant si d’autres plaisirs plus vifs ne vous avaient pas retardé, je dois au contraire vous remercier de n’être pas venu plus tôt, puisque vous veniez pour mon malheur ; vous entrez, et au moment où mon affection inquiète, ma constance alarmée vous attendaient avec ces doux reproches d’amour qui, mêlés de confiance et de crainte, rendent la tendresse d’autant plus vive qu’ils semblent vouloir la cacher ; à peine avais-je commencé à vous parler, que j’entends du bruit dans mon appartement… je rentre pour savoir ce que c’est… vous, vous pensez que c’était une bouderie affectée dont je punissais votre retard, et vous me suivez… Alors… ô ciel ! quel souvenir cruel !… la voix me manque !… alors, je vois devant moi… un homme enveloppé dans son manteau… qui s’avançant vers moi…


Entre FABIO.
fabio.

Monseigneur, le cavalier chez qui vous m’avez envoyé attend à votre porte.

don carlos, à Léonor.

Rentrez chez vous ; il ne faut pas qu’il vous voie encore.

léonor.

Hélas ! rien ne manque à mes malheurs… Je n’ai pas même la triste consolation de les alléger en les rappelant.

don carlos.

C’est en vain que vous prétendez vous justifier.

fabio.

Vite, vile, madame, si vous devez vous cacher ; car il entre.

don carlos.

Laisse-nous seuls. (À Léonor.) Vous écouterez notre conversation.

Fabio sort.
léonor.

Ah ! combien j’ai à me plaindre de ma funeste étoile !

Elle sort.
  1. Nos hablabamos por una
    Reja de mi quarto, etc., etc.

    On appelle reja, en Espagne, la fenêtre du rez-de-chaussée, garnie de barreaux.