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JOURNÉE II, SCÈNE III.

doña serafina.

Moi ! et pourquoi ?

don félix.

Parce que si je reconnais qu’elle est belle à ce point, cela ne sera pas très-galant pour vous, et si je ne le reconnais pas, ce ne sera pas fort gracieux pour elle.

doña serafina.

Eh bien ! remettez à une autre occasion pour m’en dire votre avis.

tristan.

Et vous, ma charmante, avez-vous enfin recouvré la parole ?

flora.

Un tout petit peu[1].

tristan.

En ce cas, avec vous et une certaine Flora qui demeure dans cette maison, nous ferions quelque chose de bon.

flora.

Que voulez-vous dire ?

tristan.

Comme elle parle beaucoup trop, et que vous vous ne parlez pas assez, en retranchant à l’une et en donnant à l’autre, on ferait deux femmes parfaites.

flora.

Seigneur Tristan, les femmes doivent prendre garde à leur langue, car il n’est pas de défaut plus vilain que le bavardage.

tristan.

Vous prêchez, vous, ma belle ! vous qui êtes venue avec votre maîtresse nous voir ainsi déguisées !… Il me semble entendre un aveugle qui chante à tue-tête l’acte de contrition et les couplets de Calaynos[2].

flora.

Il est vrai que cela ressemble un peu à ce qu’une dame disait un jour à un cavalier : « Apportez-moi une bonne fourrure de martres pour doubler ce cilice[3]. »

tristan.

Allons, je vois que vous et Flora vous êtes de la même pâte.

flora.

Et moi, je vois que vous et Tristan vous faites deux ânons.

don félix.

Il paraît, madame, que les plus pressantes supplications ne servent de rien auprès de vous.

  1. Un poquitito. Poquitito est le diminutif de poquito, qui est lui-même le diminutif de poco (peu).
  2. Les couplets de Calaynos (las coplas de Calaynos) qui célèbrent les amours du Maure Calaynos avrc l’infante Séville, sont populaires en Espagne.
  3. Comme Tristan vient d’accuser Flora de faire de la morale mal à propos, celle-ci se moque à son tour des pratiques d’une fausse dévotion.