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JOURNÉE II, SCÈNE II.

nice.

Pourquoi hésiter ?

doña violante.

Que sais-je ? je crains de faire une démarche inutile… j’ai peur que don Félix ne s’inquiète pas de ma demande, ou que s’il vient me voir, il ne se défende de me servir ; car un homme est bien peu empressé pour une femme qui en aime un autre.

tristan.

Cette scène ressemble à l’Intermède de la Ronde[1].

doña violante.

Il serait donc mieux qu’il n’apprit ma présence en cette ville qu’en me voyant.

nice.

Cela est facile ; je suivrai le valet, je reviendrai vous dire où il loge, et vous irez.

doña violante.

Fort bien, Nice ; mais comment pourras-tu le suivre sans lui inspirer des soupçons ?

nice.

Rien de plus simple que de se déguiser avec une mante ; et les Espagnoles qui sont dans l’hôtellerie ne refuseront pas de nous en prêter une.

doña violante.

Viens donc ! essayons de lutter contre ma destinée.

Elles sortent.
tristan.

Il faut pourtant bien qu’elles aillent, ces valises, de manière ou d’autre, car, sans être Asturien ni Galicien[2], je sais mon métier… Comme la valise de mon maître est pesante ! non pas peut-être qu’elle contienne plus d’effets que la mienne, mais parce que le valet le plus honnête trouve toujours que ce qui est à son maître pèse plus que ce qui est à lui.


Entre NICE, voilée, qui se met à suivre Tristan.
nice, à part.

Je ne quitterai pas son ombre de toute la journée.

tristan.

Il y a déjà quelques momens, ma reine, que je m’aperçois que je traîne derrière moi une troisième valise en sus des deux que je porte. Que désirez-vous ? en quoi pourrais-je vous être agréable ? Que pensez-vous que contiennent mes deux valises ?

  1. L’Intermède de la Ronde, que nous avouons ne pas connaître, était probablement fort célèbre du temps de Calderon.
  2. Sin ser corito ganapan me llamo.

    Corito est un surnom donné aux Asturiens et plus tard aux Galiciens, qui sont en Espagne ce que sont en France les Auvergnats. C’est comme si Tristan disait : « Sans être Auvergnat, je suis un porte-faix. »