Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome II.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
109
JOURNÉE II, SCÈNE I.

doña serafina.

Pourquoi cela ?

don félix.

Elle disait : « Si par hasard ma folie arrive jusqu’à vous, ayez en pitié comme d’un malheur, et ne la repoussez pas comme venant de moi. »

doña serafina.

Et quand bien même ces paroles pourraient s’appliquer à la circonstance, comment justifieraient-elles votre audace ?

don félix.

Voici comment. — Le hasard et mes peines m’ont conduit en un lieu où j’ai eu la folie de vous offenser en même temps que j’avais le bonheur de vous voir. Sans hésiter je suis venu jusqu’ici, en me disant que quand on veut obtenir l’amour d’une personne, il faut savoir s’exposer à sa colère ; que souvent on ne parvient au bien qu’en traversant le mal, et que, malgré votre insensibilité, je n’aurai rien à craindre tant que mes plaintes arriveront jusqu’à vous. Non, pour un échec, je ne veux pas me décourager ; car vos rigueurs même me plaisent et j’adore vos dédains ; et ainsi le mal qui me vient de vous est à mes yeux un bien. Si mon audace vous offense, prenez-vous-en à vous seule qui l’inspirez ; et considérant que c’est vous qui forcez mon hommage, ne le repoussez pas comme venant de moi.

Il sort.
doña serafina.

Écoutez ! — Mais non, hélas ! qu’ai-je à lui dire ? Pourquoi lui adresserais-je hypocritement des reproches, alors qu’il ne me paraît pas coupable… Ne devrais-je pas plutôt rappeler en moi ma fierté ? Ne suis-je pas celle que je suis[1] ?… Quel ennui !… et que l’on se fâche mal alors qu’on ne veut pas se fâcher !

flora.

Pourquoi, madame, puisque vous êtes reconnaissante à don César de ce qu’il a fait pour vous, pourquoi vous montrez-vous si offensée de son amour ?

doña serafina.

Parce que je dois, Flora, lui témoigner deux sentimens contraires et c’est pourquoi tu me verras jouer avec lui deux rôles différents. En sa présence, en lui parlant, je ne veux être que froideur et dédain ; mais hors de sa vue, me souvenant qu’il m’a secourue sans me connaître, je prétends lui rendre mille services sans qu’il sache de qui ils lui viennent.

flora.

Fort bien ; mais si vos rigueurs l’éloignent de vous, madame, ne

  1. V. t. I, pag. 78 à la note.