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MAISON À DEUX PORTES.

calabazas.

Oui ! patience ! Que je reste ici, moi, tranquille, sans rien voir ni rien entendre, lorsqu’il n’y a pas d’autre plaisir, et même souvent d’autre profit dans le service que d’écouter pour savoir et de savoir pour dire !… Il se cache de moi !… Mais, foi de Calabazas ! cela ne sera pas. Par la même raison qu’il se méfie de moi, moi j’ai plus d’envie de le suivre… Marchons derrière eux, bien enveloppé dans non manteau, Car si je n’éclaircis pas mes doutes, si j’ignore ce qu’il fait, à quoi bon suis-je son domestique ?

Il sort.

Scène III.

Un chemin dans la campagne.
Entrent FABIO et LELIO.
lelio.

Reposez-vous un peu ici, monseigneur… nous arriverons toujours assez tôt… Nous ne sommes pas loin d’Ocaña maintenant.

fabio.

Tu as raison, Lelio. (Il s’assied.) Je n’en peux plus. Je croyais, en descendant de cheval et en marchant un peu, que cet exercice me ferait du bien ; loin de la !… Je t’avoue que jamais de la vie je ne me suis senti aussi fatigué, aussi brisé. C’est qu’aussi ma chute a été rude.

lelio.

Ma foi ! monseigneur, c’est encore un bonheur, dans ce malheur, que nous ne nous soyons pas trouvés plus loin d’Ocaña quand cette maudite jument a trébuché. Si nous eussions été déjà à deux ou trois lieues, j’aurais été bien embarrassé, puisque, pour revenir d’une lieue, en comptant le temps que nous nous sommes arrêtés a l’auberge, nous avons mis toute la journée… Un peu de courage, monseigneur, et vous arriverez bientôt à la maison, où nous pourrons plus facilement vous donner les soins que votre état exige.

fabio.

C’est à cette jambe surtout que je sens une douleur !… C’est elle qui a porté tout le poids… Ah ! Lelio.

lelio.

Voudriez-vous remonter à cheval, monseigneur ?

fabio.

Non, Lelio ; je crois qu’il vaut mieux que je continue d’aller à pied comme je pourrai. Je crains de laisser engourdir ma jambe.

lelio.

Vous avez raison, mon cher maître ; mais, d’autre part, je considère que la nuit s’avance ; que si nous arrivons trop tard à la maison, tout le monde sera couché, et qu’il n’y aura pas moyen de vous donner les soins nécessaires.