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MAISON À DEUX PORTES.

dans un recoin de l’escalier, enveloppé de mon manteau. Que ce temps m’a paru long ! chaque minute était un siècle ?… On a n’aura pas eu le loisir de renvoyer cet homme, et je doute qu’on s’y hasarde en pensant que je suis dans la rue… Feignons que je suis un valet de la maison, que je suis au fait de l’aventure : amenons le avec moi jusqu’à la rue, et là… que ma fureur et ma jalousie !… (Il s’approche de la porte de la chambre où était Lisardo.) C’est bien là la porte de la chambre où il était… Pourquoi donc l’a-t-on ouverte ?… (Appelant à demi-voix.) Hola ! seigneur cavalier, suivez-moi ; n’ayez pas peur. (À part.) Il ne répond pas. (Appelant.) Seigneur cavalier !… (Avec colère.) Vous ne voulez pas répondre !… Vive Dieu ! vous m’obligez par votre silence à vous aller chercher !

Il entre dans la pièce voisine.


Entre LAURA avec un flambeau.
laura.

J’ai eu bien peur… Heureusement que ce n’était rien. Je croyais que mon père m’allait interroger sur la présence de don Félix ; et c’était pour me dire qu’il partait demain matin pour la campagne… pour affaires. — Mais qu’est devenue Celia ?… Où es-tu donc Celia ?… Ils sont tous partis et m’ont laissée seule dans mon danger… Personne ne paraît… Hélas ! que faire ?… Don Félix doit être dans la rue tandis que ce cavalier est caché là. N’importe, il faut qu’il parte ; il le faut avant tout. Je suis celle que je suis. (Elle s’approche de la porte.) Çà, cavalier, il est temps que vous partiez. Ne soyez pas étonné de me voir…


Entre DON FÉLIX.
don félix.

Ah ! comment puis-je ne pas être étonné de vous voir, Laura ?

laura.

Qu’entends-je ?

don félix.

C’est moi.

laura.

Don Félix !

don félix.

Lui-même.

laura.

Ô ciel !

don félix.

Ô la plus légère des femmes, la plus perfide, la plus fausse !

    sardo était caché, ni par la porte de l’appartement où Fabio et Laura viennent d’entrer, il faut nécessairement qu’il entre par une troisième porte, par où sont sortis Lisardo et Celia ; il faut, de plus, qu’il n’entre qu’un moment après leur sortie, parce que, sans cela, il les aurait rencontrés. Cette faute contre la loi du théâtre, qui ne veut pas que la scène reste vide, se retrouve fréquemment dans les dramatistes français qui appartiennent à la première moitié du dix-septième siècle, dans excepter le grand Corneille.