Voici que j’entre en scène. Attention, Silvia.
Je ne perds pas un mot, madame.
Je suis impatient de vous entendre.
Un jour donc que je m’étais mis en route avant l’aurore afin d’éviter la chaleur, car le soleil du matin n’est guère supportable en la saison où nous sommes, — arrivé vers un couvent qui touche à la porte d’Ocaña, j’aperçus, entre quelques peupliers, une femme. Sa tournure me charma ; je la saluai poliment. Elle, avant que j’eusse fait vingt pas, m’appela par mon nom. Je m’arrêtai, descendis de mon cheval, le donnai à garder à Calabazas, et j’allai vers elle en lui disant : Heureux l’étranger de qui une noble dame sait le nom ! Elle, aussitôt, s’empressa de se couvrir le visage de sa mante et me répondit a demi-voix : Un cavalier espagnol n’est étranger nulle part en ce pays. À cela elle ajouta d’autres complimens, et si flatteurs, que je ne les répéterai pas par modestie ; car, en vérité, je ne sais comment il y a des hommes si vains, si présomptueux, si arrogans qu’ils puissent se vanter d’avoir été recherchés par des femmes.
C’est notre aventure qu’il raconte.
Et il n’omet pas un détail, l’homme modeste !
Oh ! comment l’empêcher de finir ? je crains qu’il ne donne des renseignemens qui éveillent les soupçons de don Félix.
Continuez.
Quand nous eûmes ainsi causé quelque temps, le visage toujours recouvert de sa mante, elle me congédia en me défendant de chercher a savoir qui elle était et de la suivre, me promettant d’ailleurs qu’elle me viendrait parler le jour suivant au même endroit. Six jours de suite j’ai revu, parmi les peupliers, cette femme. À la fin, ennuyé de toutes ses précautions, j’ai résolu de la suivre aujourd’hui quand elle retournerait à Ocaña. Mais il ne m’a pas été possible d’effectuer ce dessein. À peine m’a-t-elle eu quitté, qu’elle s’est retournée de mon côté, et que, m’apercevant, elle n’a jamais voulu passer outre au détour de cette rue.
De cette rue, dites-vous ?
Oui ; et j’imagine qu’elle y demeure, car, dés qu’elle y a été entrée, je l’ai perdue de vue à l’instant.