Fut-il jamais un roi plus malheureux ? fut-il jamais un père aussi persécuté ?
Votre armée, de toutes parts vaincue, fuit au loin en désordre.
Et les traîtres sont maîtres du champ de bataille.
Dans les luttes de ce genre, ce sont les vainqueurs qui ont le droit pour eux, et les traîtres, ce sont les vaincus. Fuyons donc, Clotaldo, fuyons le traitement cruel que nous réserve un fils inhumain.
Que le ciel me soit en aide !
Quel est ce malheureux soldat qui vient de tomber tout sanglant à nos pieds ?
Je suis un pauvre malheureux qui, pour avoir voulu me préserver de la mort, suis allé la chercher ; je la fuyais et elle m’a atteint, car il n’y a pas d’endroit où elle ne pénètre ; d’où il se peut conclure que plus on veut éviter ses coups, plus on s’expose à les recevoir. Aussi, retournez, retournez au combat ; on est plus en sûreté au milieu du feu et des armes que derrière la plus haute montagne, puisque le destin est si puissant et si irrésistible qu’il se fait partout un chemin. C’est pourquoi, vainement vous espérez par la fuite vous soustraire à la mort. Songez-y bien, vous mourrez si Dieu a décidé que vous devez mourir.
Songez-y bien, vous mourrez si Dieu a décidé que vous devez mourir !… Hélas ! ô ciel ! comme il établit bien l’ignorance et la faiblesse de l’homme, ce cadavre qui parle ainsi par la bouche d’une blessure dont le sang qui s’en échappe, comme un langage plein d’éloquence, nous enseigne si bien que toutes les dispositions de l’homme sont impuissantes contre une force et une volonté supérieure. En effet, moi qui voulais épargner d’affreux désastres à mon pays, ne t’ai-je pas moi-même remis aux mains de ceux dont je le voulais délivrer ?
Bien que la destinée connaisse tous les chemins, seigneur, et qu’elle trouve derrière les plus épais rochers celui qu’elle cherche, il n’est pas chrétien de dire qu’on ne peut pas se préserver de sa ri-