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LA VIE EST UN SONGE.

estrella.

Eh bien ! moi aussi, je marche au combat à vos côtés ; je prétends illustrer mon nom dans les batailles et rivaliser avec la déesse Pallas.

Elle sort, et l’on sonne l’alarme.
Clotaldo va pour sortir, mais entre ROSAURA, qui le retient.
rosaura.

Bien que votre valeur murmure de ce retardement, écoutez-moi. — Vous savez que je suis venue pauvre et abandonnée en Pologne, et que j’ai trouvé auprès de vous protection et pitié. Vous m’avez commandé de vivre dans le palais sous ces vêtements, qui ne sont pas les miens, de ne pas laisser voir ma jalousie, et de me cacher du prince Astolfe. Il m’a vue, à la fin, et cependant, épris de la princesse, il doit, cette nuit, lui parler dans le jardin. Je m’en suis procuré la clef, vous pourrez y pénétrer ; et si votre courage vous le permet, il vous sera facile de venger mon honneur par la mort du perfide.

clotaldo.

Il n’est que trop vrai, Rosaura ; dès que je vous ai vue, je ne sais quel instinct m’a porté à faire pour vous tout ce qui était en mon pouvoir. Mon premier soin a été de vous engager à changer d’habits, afin qu’il fût moins facile au prince Astolfe de vous reconnaître. En même temps, je pensais aux moyens de rétablir votre honneur ; et cet honneur m’est si cher, que je ne craignais pas de penser à la mort du prince. Mais voyez le jeu du sort ! Tandis que je méditais sa mort, Sigismond a voulu me tuer moi-même ; sur quoi le prince est accouru, et sans s’occuper de son propre péril, il a pris ma défense avec une rare générosité. Dites-moi donc, comment pourrais-je à présent donner la mort à qui je dois la vie ? Comment me conduire, partagé entre vous deux ? Lequel des deux dois-je seconder ? À l’un j’ai donné la vie ; je l’ai reçue de l’autre. Si je suis engagé par ce que j’ai donné, je ne le suis pas moins par ce que j’ai reçu. Et c’est pourquoi, en de telles circonstances, mon affection ne sait à quel parti s’arrêter, et je me sens neutralisé par deux forces contraires.

rosaura.

Pour un homme tel que vous, je n’ai pas besoin de vous le dire, autant il est noble de donner, autant il est indigne de recevoir. Ce principe posé, c’est à moi que vous devez de la reconnaissance, et non au prince Astolfe ; car à moi vous avez donné, et de lui vous avez reçu ; et tandis que moi, je vous ai fourni l’occasion de vous conduire noblement, lui, il est cause que vous avez commis un acte indigne de vous. Donc, puisque vous m’avez donné à moi ce que vous avez reçu de lui, vous avez à vous plaindre de lui et vous êtes mon obligé, et c’est pourquoi, dans cette situation, vous me devez votre reconnaissance et vous devez défendre mon honneur.