Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome I.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
357
JOURNÉE III, SCÈNE I.

tous.

Seigneur ?

clairon.

Ils sont ivres, je crois.

premier soldat.

Vous êtes notre prince. Nous ne voulons pas de prince étranger ; nous ne voulons obéir qu’à notre seigneur légitime. Permettez-nous de baiser vos pieds.

tous.

Vive notre grand prince !

clairon.

Vive Dieu ! c’est pour de bon… Ne serait-ce pas la coutume en ce pays de prendre chaque jour un homme, de l’élire prince, et puis de l’emprisonner ?… Il faut bien que cela soit, car je ne vois pas autre chose. Eh bien ! je vais jouer mon rôle.

tous.

Donnez-nous vos pieds.

clairon.

Cela m’est impossible ; car j’en ai besoin pour mon usage personnel, et il ne serait pas convenable de voir un prince sans pieds.

deuxième soldat.

Tous nous l’avons dit à votre père lui-même : nous ne reconnaissons que vous seul pour notre prince, et nous ne voulons pas de celui de Moscovie.

clairon.

Vous avez donc manqué de respect à mon père ? Je vous reconnais là.

premier soldat.

Ç’a été loyauté de notre part.

clairon.

Oui, vous êtes de braves gens, et je vous pardonne.

deuxième soldat.

Venez rétablir votre pouvoir. Vive Sigismond !

tous.

Vive ! vive Sigismond !

clairon, à part.

Ils m’appellent Sigismond ? Ce n’est pas mauvais. Ou appelle ainsi tous les princes de contrebande[1].

Entre Sigismond.
sigismond.

Qui donc a prononcé le nom de Sigismond ?

clairon, à part.

Seulement il est triste d’être un prince affamé !

  1. Comme les dramatiques espagnols ont donné souvent à leurs princes ce nom de Sigismond, Clairon (le gracioso) veut dire je crois, qu’on appelle Sigismond tous les princes de comédie.