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L’ALCADE DE ZALAMÉA.

le capitaine.

Qu’ai-je à démêler, moi, avec la justice civile[1] ?

rebolledo.

Tout ce que je sais, c’est qu’ils viennent d’entrer ici.

le capitaine.

Après tout, c’est ce qui pouvait m’arriver de mieux. Cette justice me protégera contre les gens de ce village, et force lui sera de me renvoyer au conseil de guerre ; et là, bien que mon affaire ait du louche, je n’ai rien à craindre.

rebolledo.

Le paysan aura sans doute porté plainte contre vous.

le capitaine.

Je le pense.

crespo, du dehors.

Gardez toutes les portes ; ne laissez sortir aucun des soldats qui sont ici, et si l’un d’eux voulait sortir par force, tuez-le.


Entre CRESPO, le bâton d’alcade à la main[2]. Le Greffier et les Membres du conseil l’accompagnent.
le capitaine.

Comment ose-t-on entrer ici ?… Mais que vois-je ?

crespo.

Et pourquoi non ? la justice aurait-elle donc besoin de permission ? Je ne le pense pas.

le capitaine.

.

La justice, puisque c’est vous qui depuis hier la représentez dans ce pays, n’a rien a démêler avec moi ; veuillez y réfléchir.

crespo.

Au nom de Dieu, seigneur, ne vous fâchez pas ; je viens seulement, avec votre permission, remplir une formalité, et il importe que nous soyons seuls.

le capitaine, aux soldats.

Retirez-vous.

crespo, aux laboureurs.

Retirez-vous également. (Au Greffier.) Mais ne perdez pas de vue les soldats.

le greffier.

Vous pouvez être tranquille.

Les soldats et les laboureurs sortent.
crespo.

Maintenant que je me suis servi de ma qualité d’alcade et de représentant de la justice pour vous forcer à m’écouter, je dépose les marques de ma dignité, et je ne suis plus qu’un simple particulier

  1. En effet, d’après leurs prérogatives, leurs privilèges (fueros), les militaires n’étaient pas soumis à la justice civile. Il en était de même en France dans le dernier siècle.
  2. Le bâton d’alcade (cara) est noir et surmonte d’une pomme d’ivoire.