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L’ALCADE DE ZALAMÉA.

crespo, du dehors.

Tuez-moi ! par pitié, tuez-moi !

isabelle.

Ô ciel ! lui aussi, il invoque la mort. Il est donc d’autres malheureux pour qui l’existence est insupportable !… Mais que vois-je ?

Une toile se lève, et l’on voit CRESPO, attaché à un arbre.
crespo.

Si dans ces forêts il se trouve quelqu’un dont le cœur ne soit pas inaccessible a la pitié, qu’il vienne me donner la mort… Mais qu’ai-je aperçu, grand Dieu !

isabelle.

Un homme attaché, les mains liées, au tronc d’un arbre !

crespo.

Une femme qui conjure le ciel, qui se plaint et gémit !

isabelle.

C’est mon père !

crespo.

C’est ma fille !

isabelle.

Mon père ! mon seigneur !

crespo.

Viens, ma fille, approche ; détache ces liens.

isabelle.

Je n’ose, mon père. Car, si après avoir rendu la liberté à vos mains, je vous apprends mon malheur, furieux, vous tuerez une fille indigne qui vous a déshonoré. Sachez d’abord, mon père…

crespo.

Non, Isabelle, tais-toi ; il est des malheurs qui n’ont pas besoin d’être racontés. Un seul mot les révèle.

isabelle.

J’ai beaucoup de choses à vous apprendre ; votre vertu s’en irritera, et avant d’avoir tout entendu, vous voudrez vous venger. — Hier au soir, il vous en souvient, j’étais tranquille auprès de vous, je goûtais cette douce sécurité que vos cheveux blancs inspirent à ma jeunesse, lorsque ces traitres masqués, se précipitant sur moi, m’enlevèrent malgré ma résistance, comme des loups affamés enlèvent une brebis innocente. Ce capitaine, cet hôte ingrat, qui en entrant dans notre maison y avait introduit le trouble et la perfidie m’a saisie dans ses bras, pendant que des soldats, ses complices, protégeaient son attentat. Puis, il m’a emportée dans cet endroit retiré de la forêt, comme dans un asile assuré ; car c’est dans les forêts que tous les crimes trouvent un asile. — Ici même, après avoir deux fois perdu connaissance, j’ai entendu votre voix qui s’est affaiblie peu à peu et a bientôt cessé de parvenir à mon oreille. D’a-