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L’ALCADE DE ZALAMÉA.

isabelle.

À ce titre seul je le reçois. — Permettez, seigneur, que je vous recommande mon frère, puisqu’il a été assez heureux pour que vous l’admettiez au nombre de vos serviteurs.


Entre JUAN.
don lope.

Je vous le répète, soyez pour lui sans inquiétude ; il est avec moi.

juan.

Seigneur, la litière est prête.

don lope, à Crespo.

Demeurez avec Dieu !

crespo.

Que lui-même vous garde !

don lope.

Adieu, bon Pedro Crespo.

crespo.

Adieu, noble seigneur don Lope.

don lope.

Qui vous aurait dit, le premier jour que nous nous sommes vus ici, que nous deviendrions si bons amis pour la vie ?

crespo.

Moi, seigneur, je l’aurais dit, si j’eusse pu deviner que vous étiez…

don lope.

Eh ! pour Dieu ! achevez donc.

crespo, achevant sa phrase.

…Un fou de si bonne espèce.

Don Lope s’en va.
don lope.

Pendant que le seigneur don Lope fait ses préparatifs pour monter dans sa litière, écoute, mon fils, ce que j’ai à te dire en présence de ta sœur et de ta cousine. — Grâces à Dieu, Juan, tu sors d’une famille honnête et sans tache, mais tout-à-fait plébéienne. Je te dis l’un comme l’autre : l’un, pour que tu ne conçoives pas une telle méfiance de toi-même que tu n’oses aspirer à t’élever, par ta bonne conduite, au-dessus de ce que tu es ; l’autre pour que tu n’oublies jamais ce que tu dois être. Dans cette double vue, sois toujours modeste, et toutes tes actions seront réglées par la prudence, et tu ne connaîtras pas certains ennuis qui sont le désespoir de l’orgueilleux. Combien d’hommes, qui avaient de nombreux défauts, les ont rachetés par la modestie ! et combien d’autres, d’ailleurs très-estimables, se sont fait haïr pour leur orgueil ! Sois poli avec tout le monde, sois affable et généreux ; car avec des saluts et de l’argent on se fait beaucoup d’amis, et tout l’or des Indes, toutes les richesses qu’enferme le sein des mers, ne valent pas l’avantage d’être aimé… Ne parle jamais mal des femmes, pas même de celles