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L’ALCADE DE ZALAMÉA.

gneur ; car enfin nous sommes au mois d’août, et l’on aime à respirer la fraîcheur du soir.

don lope.

Cet endroit-ci me semble délicieux.

crespo.

C’est un morceau du jardin où ma fille a l’habitude de venir se distraire. Asseyez-vous, seigneur ; l’air qui se joue dans le feuillage de cette treille et le bruit que fait cette fontaine forment un agréable murmure. On dirait un luth d’argent et de nacre dont les cordes sont des cailloux dorés. Pardonnez, seigneur, si vous n’avez ici pour toute musique que celle de ces instrumens, et si je ne vous donne pas en même temps un concert de voix. Mais je n’ai ici pour tous chanteurs que les oiseaux qui gazouillent, et ces chanteurs-là se reposent la nuit, et ne sont pas à mes ordres… Asseyez-vous donc, seigneur, et tâchez d’oublier vos continuelles souffrances.

don lope.

Impossible !… Cette maudite jambe me les rappelle à chaque instant. Dieu me soit en aide !

crespo.

Qu’il vous soit en aide ! Amen !

don lope.

Que le ciel me donne de la patience !… Asseyez-vous, Crespo.

crespo.

Je suis fort bien debout, seigneur.

don lope.

Asseyez-vous, vous dis-je.

crespo.

Puisque vous l’exigez, seigneur, j’obéis ; mais en ajoutant que vous auriez dû n’y pas faire attention.

don lope.

Vous ne savez pas à quoi je pense, Crespo ?… C’est que hier, sans doute, la colère vous avait mis hors de vous.

crespo.

Rien n’est capable, seigneur, de me mettre hors de moi.

don lope.

Pourquoi donc, alors, vous êtes-vous assis sans que je vous l’aie dit, et même sur le meilleur siège ?

crespo.

Parce que justement vous ne me l’avez pas dit ; et aujourd’hui que vous me le dites, je n’aurais pas voulu m’asseoir. Il faut n’être poli qu’avec ceux qui le sont.

don lope.

Hier vous ne faisiez que jurer, gronder, pester, et aujourd’hui vous êtes la réserve et l’urbanité même

crespo.

C’est que, seigneur, je réponds toujours dans le ton et dans le