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L’ALCADE DE ZALAMÉA.

le sergent.

On assure, seigneur, que c’est la meilleure maison de l’endroit. Du reste, s’il faut tout vous dire, ce n’est pas tant à cause de cela que je l’ai choisie pour vous, que parce qu’il y a aussi la plus belle personne de Zalaméa.

le capitaine.

Que dis-tu ?

le sergent.

C’est une sienne fille.

le capitaine.

Alors, toute belle et toute vaine qu’elle peut être, elle n’en est pas moins la fille d’un vilain, ayant sans doute de grosses mains et de gros pieds.

le sergent.

Personne ne dit cela.

le capitaine.

N’importe ! cela doit être.

le sergent.

Est-il un passe-temps plus agréable pour celui qui n’a pas le cœur engagé et qui ne cherche qu’à égayer son loisir, que la société d’une jeune villageoise simple et timide, qui ne sait comment vous répondre ?

le capitaine.

Eh bien ! voilà qui, de ma vie, ne m’a jamais amusé, même en passant ; car dès qu’une femme n’est pas mise avec élégance, avec coquetterie, ce n’est plus pour moi une femme.

le sergent.

Eh bien ! pour moi, toutes les femmes sont femmes, à commencer par la première venue. Mais allons la-bas ; car, vive Dieu ! sur votre refus, je la prends pour mon compte.

le capitaine.

Veux-tu savoir qui de nous deux a raison ? Songe seulement que celui qui adore une beauté dit en la voyant : « Voilà ma dame, » et non pas : « Voilà ma villageoise. » Donc si l’on appelle dame celle qu’on aime, il est clair qu’une villageoise ne peut avoir aucun droit au titre de dame. — Mais quel est ce bruit ?

le sergent.

C’est un homme qui vient de descendre, au coin de la rue, de dessus un nouveau Rossinante, et qui, par sa figure et sa taille, rappelle tout-à-fait ce célèbre don Quichotte de qui Miguel Cervantes a écrit les aventures.

le capitaine.

Ô la bonne figure !

le sergent.

Marchons, seigneur, il est temps.