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NOTICE SUR CALDERON.

portant la cape et l’épée, pointilleux sur l’honneur et dévoués aux dames

En voyant ces inexactitudes de costume, plusieurs critiques se sont récriés contre l’ignorance de Calderon. Calderon, a-t-on dit, pouvait savoir les langues anciennes, mais il ignorait les mœurs des peuples qui les parlaient. Comme si l’on pouvait apprendre une langue ancienne sans apprendre en même temps les mœurs du peuple qui l’a parlée ! comme si, à Salamanque, notre poète n’avait pas étudié tout ce que nous possédons aujourd’hui encore d’historiens latins ! comme si, enfin, un long séjour en Italie, au milieu des chefs-d’œuvre de la statuaire et de la peinture, n’avait pas dû compléter son éducation classique !

Les critiques français qui jadis déclamaient si fort contre l’ignorance et la barbarie de Calderon, ou de Lope, ou de Shakspeare, auraient mieux dû se rappeler notre histoire littéraire. Je ne parlerai pas du moyen âge, où nos romanciers qui célébraient les exploits d’Achille et d’Hector, leur prêtaient naïvement les idées, les mœurs, le costume de l’état social dans lequel les auteurs eux-mêmes vivaient, — comme faisaient les peintres et les sculpteurs contemporains. Je ne parlerai pas, non plus, de ces romans publiés dans la première moitié du XVIIe siècle, dans lesquels on nous représentait, Boileau lui-même l’a dit, Caton galant et Brutus dameret. Mais plus tard, sous Louis XIV, à la plus brillante époque du grand siècle, nos écrivains les plus instruits, les plus parfaits, les plus classiques, ont-ils toujours été fidèles au costume ? Fénelon, quand il décrit la grotte de Calypso tapissée de rocailles et de coquilles (17), n’a-t-il pas oublié sa chère antiquité, et ne songe-t-il pas un peu trop aux merveilles de Versailles ? De même Corneille et Racine dans leurs plus beaux ouvrages n’ont-ils pas manqué, volontairement sans doute, le premier à ces mœurs romaines qu’il connaissait si bien, le second à ce génie de la Grèce dont il était tout pénétré ?

C’est que pour plaire à un peuple d’une érudition incomplète, pour l’intéresser, pour agir sur lui, l’écrivain, le poète, le poète dramatique surtout, doivent autant que possible lui offrir des peintures qui lui rappellent les hommes ou les choses qu’il connaît et qu’il aime. Or, cela était surtout néces-