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JOURNÉE III, SCÈNE I.

la mort est lente à venir pour l’infortuné à qui pèse l’existence ! Ô Julia, que penses-tu de ce que je me suis enfui de tes bras au moment où ils allaient m’enlacer dans leur douce chaîne ?… Le principe de ma conduite n’est pas en moi, il est dans une puissance supérieure à qui j’ai obéi. Je te souhaitais avec une ardeur indicible, j’aurais trouvé en toi le bonheur ; mais j’ai vu sur ton sein cette même croix qui est empreinte sur le mien, et je l’ai respectée. — Ah ! Julia, puisque tous deux nous sommes nés marqués de cette croix, il y a sans doute quelque secret mystère que Dieu seul peut connaître et comprendre.

gil.

Diable ! comme ça pique !… Je n’y tiens plus.

eusebio.

Il y a du monde derrière ces branchages. Qui va là ?

gil.

Me voilà découvert !… C’était bien la peine !

eusebio.

Je vois au milieu des buissons un homme qui porte suspendu à son cou une croix. Mettons-nous à genoux pour accomplir mon vœu.

gil.

À qui, seigneur Eusebio, adressez-vous cette prière ?… Si vous m’adorez, pourquoi m’attachez-vous ? et si vous m’attachez, pourquoi m’adorez-vous ?

eusebio.

Qui êtes-vous ?

gil.

Quoi ! ne reconnaissez-vous pas Gil ? Depuis que vous m’avez laissé ici attaché en me confiant un message, j’ai eu beau crier, personne n’est venu me délier.

eusebio.

Je me rappelle cependant que ce n’est pas en cet endroit que je t’ai laissé.

gil.

Il est vrai, seigneur ; mais comme j’ai vu que personne ne venait, je suis parti tout de même, et, toujours attaché, je suis venu jusqu’ici d’arbre en arbre. Voilà comment s’explique mon étrange aventure.

eusebio, à part.

Il est naïf, et par lui je pourrai savoir ce qui m’intéresse. (Haut.) Gil, je te porte de l’affection depuis que j’ai causé avec toi, et j’entends que désormais nous soyons amis.

gil.

C’est bien dit ; et dès lors je ne veux plus m’en retourner au