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JOURNÉE III, SCÈNE V.

le roi.

Il n’y en a plus qu’un en effet. — Mais regarde donc ; il semble qu’il ait la tête et la moitié du corps toutes blanches ; on dirait, à travers la faible lumière du crépuscule, un fantôme.

don diègue.

Que votre majesté n’avance pas ; moi, j’irai.

le roi.

Non, laisse-moi aller, don Diègue. (Au Chirurgien.) Qui es-tu, homme ?

le chirurgien, ôtant un drap qui lut couvre la tête.

Le roi !

le roi.

Que signifie ce déguisement ? Qui es-tu ?

le chirurgien.

Sire, — car j’ai reconnu la voix de votre majesté, — deux motifs m’empêchent de vous répondre ainsi que je le dois : d’abord l’humble profession de celui qui vous parle, qui n’est qu’un pauvre chirurgien ; et ensuite la surprise et l’horreur où je suis encore à la suite de la plus étonnante aventure.

le roi.

Que t’est-il donc arrivé ?

le chirurgien.

Permettez que je vous le dise à part, à vous seul.

le roi.

Éloigne-toi un peu, don Diègue.

don diègue, à part.

Il s’est déjà passé bien des choses bizarres cette nuit… La journée avait été déjà assez mauvaise… Que le ciel me tire de là sain et sauf !

le roi.

Mais quelle était cette femme ?

le chirurgien.

Je n’ai point vu son visage. Au milieu de soupirs plaintifs elle disait : « Je ne suis point coupable ! Je meurs innocente ! Que Dieu ne vous demande pas compte de ma mort ! » Elle a expiré en disant cela. Aussitôt l’homme a éteint les deux flambeaux, il m’a recouvert la tête de ce drap, et, si je ne me trompe, nous nous en sommes allés par le même chemin par où nous étions venus. En entrant dans cette rue il a entendu du bruit et il m’a laissé seul. Il me reste à vous prévenir qu’étant sorti les mains toutes mouillées de sang, j’en ai taché tous les murs contre lesquels je faisais semblant de m’appuyer. Par là il sera facile de retrouver la maison.

le roi.

C’est bien. Ne manquez pas de venir me conter ce que vous aurez appris. J’entends qu’on vous laisse parler à moi à quelque