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JOURNÉE III, SCÈNE I.

le roi.

Eh bien ! Henri, si votre amour ne se décourage pas de poursuivre une beauté rebelle sur laquelle un gentilhomme possède un souverain empire, prenez-y garde, le sang royal lui-même n’échapperait pas à ma justice.

l’infant.

Je vous comprends, sire, à cette heure ; mais souffrez que je me défende. Un juge doit écouter également les deux parties ; la justice le commande, et l’on vous a surnommé le Justicier. Je vous dirai donc, sire, que j’ai autrefois aimé une femme, celle dont vous voulez parler sans doute ; je l’ai aimée à tel point que…

le roi.

Qu’importe, si elle est une beauté rebelle ?

l’infant.

Je l’avoue ; mais pourtant…

le roi.

Taisez-vous, infant !

l’infant.

Permettez-moi du moins de me défendre.

le roi.

Vous n’avez pas à vous défendre, si cette dame est une beauté rebelle.

l’infant.

J’en conviens de nouveau ; mais le temps et l’amour sont bien puissans sur un cœur.

le roi.

Taisez-vous, infant, taisez-vous ! (À part.) Dieu me pardonne ! j’ai eu tort de faire cacher Gutierre.

l’infant.

Ne vous échauffez pas contre moi. Vous ne savez pas les motifs qui m’autorisent à en agir ainsi.

le roi.

Je sais tout, je sais tout ; c’est assez.

l’infant.

J’ai le droit de parler, sire, quand je suis accusé. Cette femme, je l’ai aimée quand elle était demoiselle…

don gutierre, à part.

Ah ! malheureux !…

l’infant.

Et elle a reçu mes hommages…

don gutierre.

Hélas ! hélas !

l’infant.

Et avant d’être l’épouse de cet homme à qui elle appartient aujourd’hui…