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NOTICE SUR CALDERON.

poètes ses contemporains, qui admiraient son génie, n’aimaient pas moins ses qualités morales. Le connétable de Castille, le duc d’Infantado, le duc d’Albe, le duc de Médina de las Torres, le comte-duc Olivarez, enfin tous les plus grands seigneurs de ce temps recherchaient avec empressement sa société.

Il paraît aussi que notre poète vivait familièrement avec le roi Philippe IV, qui lui-même s’occupait de poésie dramatique (8). Souvent, dit-on, Philippe IV et Calderon, à la mode d’Italie, jouaient ensemble des comédies improvisées. On raconte même à ce propos une anecdote assez curieuse. Un jour le poète-roi et le roi des poètes improvisaient une comédie dont le sujet était tout simplement la Création du monde. Le roi, comme de raison, représentait le personnage de Dieu ; Calderon faisait le rôle d’Adam. C’était au tour de Calderon. Il décrivait le paradis et s’oubliait dans sa description, quand, tout-à-coup, il voit le roi qui bâillait… royalement. Interdit, il s’arrête, et d’un regard inquiet interroge. « Vive moi ! (c’est-à-dire, vive Dieu !) réplique aussitôt Philippe IV, je ne croyais pas avoir créé un Adam si bavard ! » — Et Calderon de rire, et la comédie de continuer gravement après cette espèce d’intermède.


Cette anecdote, qui à nos yeux ne diminue en rien le grand poète, nous l’avons surtout rapportée comme indication des mœurs et de l’esprit de l’époque. En effet, si l’Espagne a vu s’évanouir au xviie siècle son influence politique, du moins elle ne déchut pas dans les lettres et les arts, et cette époque fut bien réellement la seconde partie du siècle d’or (9). Le mouvement d’intelligence et d’imagination qui s’était manifesté au xvie siècle se continua en prenant une nouvelle force. Ce fut comme une inspiration universelle. De tous côtés, à Madrid, à Séville, à Valence, s’élevaient de grands poètes, de grands peintres, de grands musiciens. C’est le temps de Cervantes, de Lope, de Calderon ; c’est le temps de Velasquez et de Murillo, c’est le temps de ces maîtres de Valence dont les noms sont peu connus, mais dont les œuvres sont immortelles. Ajoutez à cela un prince spirituel, aimant les arts, cultivant les lettres, et tellement fou de théâtre, qu’il se consolait de la perte de ses provinces en jouant la co-