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JOURNÉE II, SCÈNE III.

est pour vous seul, don Henri. — Allez à la Tour, don Diègue, et dites de ma part à l’alcayde qu’il délivre les prisonniers.

don diègue.

J’y vais de ce pas, sire.

Il sort.
le roi.

Adieu, infant ; remerciez-moi.

l’infant.

Ah ! sire, quelle reconnaissance !… (Le roi sort.) Insensé que je suis d’avoir si mal exprimé mon désir ! Je voulais seulement la grâce de don Arias, et j’obtiens malgré moi celle de don Gutierre. — Ô ciel ! donne-moi la patience de supporter ce contre-temps ! — (Apercevant Coquin.) Comment, Coquin, tu étais là ?

coquin.

Plût à Dieu que j’eusse été en Flandre !

l’infant.

M’aurais-tu entendu, par hasard ?

coquin.

Non pas, je songeais à mes affaires et au roi.

l’infant.

Pourquoi songes-tu au roi ?

coquin.

Parce que le roi est le plus prodigieux de tous les animaux.

l’infant.

Qu’est-ce que cela signifie ?

coquin.

Cela signifie que de tous les animaux il n’y a que le roi qui manque à la destination de la nature. — Voyez plutôt : le lion rugit, le taureau mugit, l’âne brait, le cheval hennit, l’oiseau chante, le chien aboie, le chat miaule, le loup hurle, le cochon grogne, l’homme doit rire, et le roi ne rit jamais. Il serait plus facile, hélas ! de m’arracher mes grosses dents que de lui arracher de la bouche un sourire.

Il sort.
Entrent DON GUTIERRE et DON ARIAS, conduits par DON DIÈGUE.
don diègue.

Voici les prisonniers, seigneur.

don gutierre.

Recevez mes remerciemens, illustre infant de Castille.

don arias.

Et les miens, monseigneur, que je mets à vos pieds avec mon dévouement.

l’infant.

C’est le roi que vous devez l’un et l’autre en remercier ; je n’ai eu d’autre mérite que de lui demander votre grâce.