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LE MÉDECIN DE SON HONNEUR.

le roi.

Eh bien ! je veux le savoir, moi !

don gutierre.

Sire…

le roi.

Je suis curieux !

don gutierre.

Considérez, je vous supplie…

le roi.

Ne me répliquez plus, si vous ne voulez pas m’irriter, ou, par l’âme de mon père…

don gutierre.

Sire, sire, ne jurez pas !… Il vaut mieux que je cesse d’être celui que je suis que de vous irriter.

le roi, à part.

C’est ce que je voulais. S’il me trompe, Léonor l’entendra : et s’il me dit la vérité, Léonor connaîtra que je la sais. (Haut.) Parlez donc !

don gutierre.

C’est contre mon gré, sire. — Une nuit, étant entré chez elle, j’entendis du bruit dans une pièce ; j’y allai, mais au moment même où j’ouvrais la porte, je distinguai à travers l’obscurité le corps d’un homme qui se précipitait du balcon. Je descendis après lui, et je me mis a sa poursuite. Que vous dirai-je ? Il s’échappa sans que j’eusse pu le reconnaître. Après cela, quoique doña Léonor se soit expliquée avec moi, et quoique je n’aie jamais cru entièrement à un véritable outrage, cela en fut assez pour que je renonçasse à l’épouser ; car, à mon avis, l’amour et l’honneur sont deux passions de l’âme qui font cause commune, et s’enchantent ou s’irritent l’une l’autre ; et, par conséquent, ce qui offense l’amour offense aussi l’honneur.

don arias, à part.

Que le ciel me soit en aide ! C’est lui !

Entre DOÑA LÉONOR.
doña léonor.

Que votre majesté me pardonne ; je ne puis point ne pas paraître en entendant exprimer des soupçons aussi injurieux.

le roi, à part.

Vive Dieu ! don Gutierre me trompait ; autrement Léonor n’aurait point paru.

doña léonor.

En entendant traiter ainsi mon honneur, c’eût été à moi une grande lâcheté que de ne pas répondre, et je répondrai. — Quoi ! don Arias, c’est vous !

don arias.

Calmez-vous, de grâce, madame.