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JOURNÉE I, SCÈNE III.

un mendiant.

Sire, je suis un pauvre vieux sans ressource ; faites-moi l’aumône, je vous prie.

le roi, lui donnant sa bourse.

Tenez.

le mendiant.

Quoi ! sire, pour moi tout cela !

le roi.

Sans doute.

le mendiant.

Et le diamant qui ferme cette bourse, pour moi aussi ?

le roi.

Il est donné.

doña léonor.

Sire, je me jette à vos pieds !… Sire, je viens toute éplorée, au nom de mon honneur, vous demander justice ; et si vous me la refusez, d’avance j’en appelle à Dieu.

le roi.

Remettez-vous, madame, et levez-vous

doña léonor.

Souffrez, sire, que je reste dans cette posture suppliante.

le roi.

Levez-vous, madame, et attendez que nous soyons seuls. — (Il la relève. Aux solliciteurs.) Sortez tous. (Tous les solliciteurs se retirent.) Maintenant, madame, parlez ; car si vous venez réellement de la part de votre honneur, c’eût été une chose indigne que les plaintes de l’honneur eussent été proférées en public. On ne saurait garder trop de ménagemens ni prendre trop de précautions quand il s’agit de l’honneur de la beauté. Parlez, madame.

doña léonor.

Puissant roi don Pèdre, que le monde appelle le Justicier ! soleil brillant de la Castille, dont les rayons illuminent cet hémisphère ! vrai Jupiter espagnol, dont l’épée redoutable frappe au loin les Maures épouvantes ! vous voyez devant vous l’infortunée Léonor, que l’Andalousie avait surnommée Léonor la Belle. Hélas ! si tant est que j’aie autrefois mérité ce surnom, je n’ai connu des privilèges de la beauté que le chagrin et le malheur. Il y a quelques années, je fus distinguée par un cavalier de ce pays. Il m’aima ; je crus du moins qu’il m’aimait, à le voir rôder nuit et jour dans ma rue, autour de ma maison. Pour moi, sire, vous l’avouerai-je ? quoique je fasse en public l’indifférente et la dédaigneuse, je me sentis intérieurement touchée de tous ses témoignages de tendresse ; puis vint la reconnaissance, et puis l’amour. Cependant je continuai de le traiter comme par le passé. À la fin, ce cavalier m’ayant donné sa parole qu’il m’épouserait, — que de femmes ont été trompées par ce moyen ! — je consentis à le recevoir en ma maison. — N’allez