mettre d’aller baiser les pieds au roi mon seigneur qui arrive de Castille. C’est le devoir de tout chevalier d’aller lui donner la bienvenue, et je puis y manquer moins qu’un autre. Adieu donc, ma chère âme.
Don Gutierre ! pourquoi cherchez-vous à m’affliger ?
Moi ! je cherche à vous affliger !
Cette visite dont vous parlez n’est qu’un prétexte ; ce n’est pas là la véritable raison qui vous appelle à Séville.
Je vous jure sur vos yeux qu’il n’y en a point d’autre.
Si fait, et je la connais.
Et laquelle ?
Je n’en puis douter, c’est doña Léonor que vous allez voir.
Que dites-vous ? doña Léonor ?
Oui, cette doña Léonor que vous avez tant aimée.
Laissons cela. Ne prononcez pas même son nom ; il me déplaît, je le déteste.
Vous êtes ainsi faits, vous autres hommes. Un jour l’amour le plus dévoué, le plus ardent, le lendemain l’oubli ; un jour une passion que rien n’arrête, le lendemain la lassitude, l’indifférence ou la haine.
Oui, elle me plaisait, je la trouvais belle avant que de vous connaître ; mais depuis que je vous ai vue, je m’étonne qu’elle ait pu fixer ma pensée un seul instant. Ainsi le voyageur, la nuit, regarde une étoile qui brille dans le ciel ; mais quand le soleil a paru, il détourna les yeux avec dédain de cette étoile qui l’a charmé.
Voilà une comparaison beaucoup trop flatteuse pour moi.
Enfin, m’accordez-vous la permission que je vous demande ?
Il parait que vous tenez beaucoup à aller à Séville ?
Si je ne consultais que mon cœur, j’aimerais bien mieux demeurer auprès de vous ; mais mon devoir m’appelle auprès du roi.