dats ; il faut évidemment sauver la République, une fois de plus, aux dépens de catholiques et des révolutionnaires. Je regrette à ce propos que l’Action Française n'ait pas, comme elle fit au lendemain de Villeneuve-Saint-Georges, dénoncé plus vigoureusement et plus nettement la déplorable tactique gouvernementale. La nécessité de soutenir la loi de trois ans ne l’obligeait nullement à couvrir en l’'espèce le gouvernement ; et le danger est, maintenant, que l’Action Française, si la troisième vague démocratique l’emporte, ne soit la première compromise :on a déjà vu, à Tourcoing le local de l’Action Française être attaqué par les révolutionnaires. Il fallait distinguer avec le plus grand soin les intérêts du patriotisme vrai des calculs machiavéliques d’un nationalisme que les syndicalistes dénoncent avec raison comme étant un simple patriotisme d’affaires. Les syndicalistes font valoir, en la circonstance, et ils sont dans leur rôle, les intérêts de la production tant agricole qu’ouvrière que peut compromettre la loi de trois ans ; ils défendent la société civile contre l’État, dont nous avons reconnu le caractère essentiellement militaire il y a en effet un antagonisme naturel entre l’État et la société civile, entre l’Armée et la Production : pour faire accepter à la société civile un sacrifice aussi lourd que celui que veut lui imposer l’État, il faut évidemment qu’un intérêt national, majeur et évident soit en jeu ; si la loi de trois ans ne semble, purement et simplement, qu’une loi de réaction ; si l’on peut soupçonner que, derrière l’intérêt national se dissimulent des intérêts purement bourgeois et réactionnaires, alors tout est compromis, le sacrifice apparaît une duperie pure, et l’appel au patriotisme un simple bluff. La crise vient donc de ce que nom n’avons ni un État vraiment digne de ce nom, un État vraiment militaire, qui puisse, sans soupçon aucun de partialité ou d’hypocrisie, parler au nom de l’intérêt national (nous n’avons qu’un État plouto-démocratique dévoué a des intérêts privés), ni une société civile bien organisée (nous n’avons qu’une poussière d’intérêts individuels qui, même lorsqu’ils se groupent, sont incapables d’un véritable esprit public, par l’effet d’un indécrottable individualisme anarchico-démocratique). Dans ces conditions, tout est livré aux soubresauts aveugles d’une anarchie invincible et désastreuse. L’antagonisme naturel de l’État et la société civile, au lieu d’engendrer un équilibre sain et fécond (comme la raison qui, chez Hegel, sort de l’opposition des moi) n’engendre que le gâchis ; il n’y a plus ni État ni société civile, ni Autorité ni Liberté ; il n’y a plus que le chaos démocratique, où tous les intérêts individuels tirent à eux la couverture, sans que rien de vraiment social puisse se faire entendre
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