Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 5-6, 1912.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amorphe et globale — éventualités qui me semblent, non seulement littéralement inconcevables et, par suite, utopiques, mais encore nullement désirables pour le bien de la civilisation, car ce ne serait rien moins que l’arrêt de tout mouvement et de tout progrès dans le monde.

On a dit que la planète était un atelier ; c’est un économiste bourgeois et libéral qui l’a dit, d’ailleurs ; mais, sans compter que, dans cet atelier unique, il faudrait supposer une parfaite égalisation de tous les travailleurs[1], un nivellement absolu de tous les producteurs, chose absolument impossible, il est très contestable que le monde puisse être considéré uniquement sous l’aspect d’un atelier et l’homme uniquement comme producteur : il y a autre chose dans le monde que la production, et l’homme n’est pas seulement un travailleur c’est aussi, comme l’a dit Aristote, un animal politique, constructeur de cités, et c’est encore un animal religieux et métaphysicien ; au-dessus de la société civile, ou système des besoins, il y a l’État et t’Église, il y a la Patrie et il y a la Religion, c’est-à-dire des puissances qui prennent l’homme par ce qu’il a de plus profond, de plus mystérieux et de plus intime, et c’est pourquoi, comme le dit fort bien Labriola, le sentiment de l’indépendance nationale, tout comme la sentiment religieux, mène aux manifestations les plus incroyables du sacrifice.

L’homme est attaché à sa tradition nationale, comme a sa tradition religieuse, par les liens tes plus forts, les

  1. Si les syndicalistes, au lieu de sacrifier à je ne sais quel fade humanitarisme, restaient fidèles au réalisme syndical, ils n’oublieraient pas les énormes différences qui séparent les travailleurs des différents pays et qui font qu’un ouvrier français ne peut être comparé à un quelconque ouvrier ; si les ouvriers allemands ou belges consentent souvent à travailler à des salaires de famine et à faire de la camelote, on sait qu’il n’en est pas de même de l’ouvrier français.