Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 3-4, 1912.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
113
sorel et l’architecture sociale

marécages de la rue de Tournon, au temps où la juive Dyck May y fondait le Collège libre des Sciences sociales, ont eu le bonheur de rencontrer le Maître de Boulogne et se sont attachés à son œuvre. À chaque pas, avec lui, ils ont fait de nouvelles découvertes. Quelles lueurs projetait l’œuvre de Sorel sur ce « monde obscur de l’économie » où d’absurdes calculateurs, dressés par M. Anatole Leroy-Beaulieu à connaître la prospérité des nations selon les règles de l’arithmétique, n’ont jamais pu nous montrer que de sombres tableaux chiffrés. Et quelle vie Sorel y fit apparaître ! Quels paysages ! Quels spectacles puissants ordonnés par les plus fortes passions ! C’est dans ce monde, où les économistes ne voient guère que de froides mécaniques sans relations avec l’âme religieuse ou politique des cités, que Sorel nous invitait à découvrir le plan des grands événements historiques, l’explication de certains conflits religieux, le champ de bataille des guerres dont vit la démocratie, le lieu où se joue le sort des civilisations. Ainsi conçue, l’étude de l’économie devient aussi animée, aussi passionnante que les études historiques et politiques, c’est-à-dire que l’étude des faits sociaux où interviennent les passions humaines. L’histoire économique, au lieu d’être dominée par les inventions, apparaît soumise aux mêmes lois qui dominent la vie politique et où palpite le cœur de l’homme, — nous disons au Cercle, non sans nous souvenir des premiers enseignements reçus chez Sorel, soumise aux lois du sang. D’un mot, elle rentre dans la vie, d’où les économistes l’avaient exclue.

Ceci suffirait pour vous expliquer l’extraordinaire influence de Sorel, la séduction que son œuvre exerce sur tant d’intelligences. C’est une réussite admirable que d’avoir rendu la vie à une science qui l’avait per-