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graine d’électeurs, graine de grévistes, et toujours graine de sacrifiés.

Ils se battent, entre eux, mais ils ne se battent que derrière le guichet. On ne se battra jamais à travers le guichet, parce qu’alors, ce serait sérieux.

Quand nous disons à nos amis de l’autre côté de la porte du lycée qu’il faut avoir pâti dans la rue et avoir été boulé dans la détresse de la rue pour savoir ce que c’est que d’être misérable et ce que c’est que d’être honnête, parce qu’à l’intérieur de la boîte on n’a jamais pour ainsi dire été tenté, ils nous croient, bien entendu, parce qu’ils ont de l’amitié pour nous, très volontiers ils nous font l’amitié de le croire, ou beaucoup plus exactement, et simplement, de nous croire, ou plutôt ils croient le croire, mais ils ne font que de le savoir. Un philosophe sur son lit de mort disait récemment au plus fidèle de ses disciples, qui a recueilli pour nous ce propos ; parvenu à un âge avancé, quelques instants avant l’instant de sa mort ce philosophe disait sensiblement : Je sais que je vais mourir, mais je ne le crois pas. Il entendait sans doute par ces mots, autant que l’on peut expliquer, par l’analyse, des paroles aussi profondes, et aussi justes, il entendait sans doute par ces mots qu’il connaissait, qu’il prévoyait, qu’il préconnaissait sa prochaine mort d’une pleine connaissance intellectuelle, historique et scientifique, impliquant une certitude historique et scientifique indiscutable, inévitable, mais qu’il ne la préconnaissait pas, qu’il ne pressentait pas sa propre prochaine mort d’une connaissance organique intérieure. On sait sa mort, on ne la croit pas, ou on n’y croit pas. C’est je crois l’un des mots les plus profonds que l’on ait prononcé depuis qu’il y a la mort.