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l’argent suite


une paix où aucune résistance ne serait opposée aux ambitions économiques de l’Allemagne ; où l’étalage permanent de sa force, la dispensant d’en user, lui assurerait sans péril la domination universelle. À nous de décider si nous sommes prêts à tout céder, et à toujours céder, si nous voulons descendre peu à peu à la condition de la Saxe, ou du moins du Luxembourg. Si nous ne le voulons pas, il est évident qu’il faut nous rendre le plus forts possible : nous ne diminuerons pas les chances de paix, mais nous changerons le caractère de la paix. Nous en ôterons la servitude et la rendrons équitable. L’Allemagne, sous la direction prussienne, est réaliste : elle fait soigneusement la balance des risques et du gain ; moins elle sera assurée de vaincre, moins elle sera disposée à combattre, et plus elle réduira, en conséquence, ses prétentions, quand elle nous verra la volonté et les moyens de lui dire des « non » bien fermes.

L’ouvrage de M. Balignac s’ajoute encore à d’autres témoignages pour nous avertir de l’illusion qu’il y aurait à penser qu’il n’y a entre la France et l’Allemagne que la question d’Alsace-Lorraine. Ce fut peut-être vrai du temps de Bismarck, et tant que la génération qui avait fait la guerre de 70 fut à la tête des affaires. Mais depuis que sont entrées en scène les jeunes générations élevées dans l’orgueil de la victoire, ce qui est entre la France et l’Allemagne, c’est l’empire. L’empire allemand, par son existence, rend la véritable paix, la paix qui est une amitié, impossible, parce que l’empire, pour tous les peuples qu’il groupe dans son unité, signifie : domination de la race germanique sur toutes les autres nations. Les Slaves et les Anglais commencent seulement, ainsi que nous, à s’en douter. Les États-Unis, un jour ou l’autre, s’en apercevront, quand ils verront l’émigration allemande, contrairement à ce qui fut dans le passé, demeurer allemande. Cette remarque ne diminue pas l’intérêt qu’offre pour nous la question d’Alsace-Lorraine. Elle en découvre, au contraire, toute la profondeur.

Gustave Lanson
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