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précisément l’assimilation indue que commettent perpétuellement, dans leur métaphysique honteuse, les politiciens du parti intellectuel moderne, — il ne suit nullement a priori, peut-être au contraire, qu’il y ait un progrès des théories, et surtout que ce progrès soit un progrès linéaire.

Une métaphysique, une philosophie, un art, un peuple, une race, une culture est au contraire de l’ordre de l’événement. C’est un événement, qui arrive, ou qui n’arrivait pas, que l’on fait, qui se fait, ou qui ne se faisait pas. Quand c’est fait, c’est fait une fois pour toutes. En ce sens qu’on ne le redouble pas, mais non pas en ce sens qu’on ne peut pas le perdre. Quand ce n’est pas fait, quand c’est raté, il se peut que ce ne soit fait jamais, que ce soit raté une fois pour toutes.

Cette confusion de la métaphysique du parti intellectuel moderne entre le progrès linéaire des techniques, réel, et un progrès linéaire, imaginaire, des théories, vient elle-même enfin d’une incapacité, originelle, plus ou moins voulue, plus ou moins sincère, du parti intellectuel et du monde moderne à saisir, à distinguer la réelle différence, capitale, qu’il y a entre les pratiques et les théories.

Cette distinction si profonde et toute capitale qu’il y a lieu de faire non pas seulement entre la spéculation, la méditation, mais proprement entre le rêve et l’action, distinction qui fait une partie essentielle de la philosophie bergsonienne, et que j’ai naturellement oubliée dans mon énumération faible et beaucoup trop incomplète encore de ce langage, la distinction du théorique et du pratique a généralement échappé aux modernes. Et ils y ont généralement mis de la complaisance. Car nous