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sous un autre ciel et dans un autre climat ne la pouvait aucunement remplacer. Tout ainsi de la philosophie cartésienne, et de la philosophie kantienne, et de la philosophie bergsonienne. Un grand philosophe, nouveau, un grand métaphysicien, nouveau, n’est nullement un homme qui arrive à démontrer que chacun de ses illustres prédécesseurs séparément et tous ensemble, et notamment le dernier en date, était le dernier des imbéciles. C’est un homme qui a découvert, qui a inventé quelque aspect nouveau, quelque réalité, nouvelle, de la réalité éternelle ; c’est un homme qui entre à son tour et pour sa voix dans l’éternel concert. Une voix qui manque, nulle autre ne la peut remplacer, et elle ne souffre pas d’être contrefaite. Non seulement elle ne peut pas être contrefaite par un imposteur, mais elle ne peut être ni refaite ni doublée par l’homme et par le peuple de la meilleure volonté. Le plus grand philosophe du monde, la plus grande philosophie du monde, grande en elle-même et par la considération de sa valeur intrinsèque et de son mécanisme intérieur propre, est aussi démunie qu’un enfant quand il s’agit de recréer d’une autre philosophie. Je ne dis pas seulement l’homme le plus savant, ce qui n’est que trop naturel, mais l’homme le plus grand homme. Car il est grand, mais il est autre. C’est ce qui fait qu’il n’y a jamais qu’un langage, un seul, pour chaque objet, qu’une parole à dire quand on veut dire ceci, ou cela. Quiconque voudra parler du monde intelligible et du monde sensible, de la réalité idéale et de la passagère apparence, de l’ascension dialectique et de la symbolisation mythique, et de l’insertion des esprits ou des âmes dans les corps devra parler un langage de