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AU COMITÉ D’INSTRUCTION PUBLIQUE

nation est intéressée à la divulgation des connaissances : elle peut facilement, par l’impôt, faire contribuer les riches aux dépenses publiques : l’économie que préconise Talleyrand serait peu importante, et il est mauvais d’établir un lien de dépendance entre les professeurs et leurs élèves les plus fortunés, de partager les écoliers en classes. L’idéal des deux hommes n’est point le même. Condorcet est un esprit épris de liberté, Talleyrand un pur utilitaire. Le premier vise surtout à former des intelligences libres, le second des citoyens utiles à l’État et dévoués à ses lois. La différence des deux objectifs éclate surtout dans les chapitres consacrés à l’étude des lois constitutionnelles. Condorcet veut que le maître enseigne la constitution comme un fait, Talleyrand, comme un dogme. Le premier, imbu de l’idée du progrès, incite les jeunes gens à la critique ; le second veut instituer dans l’école un catéchisme politique.

Condorcet estimait donc que le plan de Talleyrand ne pouvait être accepté sans de graves modifications, et que dès lors, mieux valait faire une œuvre entièrement originale. Un de ses collègues, Jean de Bry, émit un avis analogue. Le procès-verbal du comité ne nous informe point des objections qu’il formula contre le rapport de l’évêque d’Autun ; mais les principes qu’il a développés dans son traité pédagogique suppléent à cette lacune : l’homme qui obligeait les enfants à étudier dans la première année du cours d’études supérieur, les Oraisons de Démosthène et de Cicéron, les Tropes de Dumarsais, l’Emile, les Plaidoyers de Mauleon, c’est-à-dire la rhétorique et les lettres, dans la seconde les sciences, dans la troisième la poésie, la dramatique, dans la quatrième l’histoire et la géographie, dans la cinquième la politique, dans la sixième la philosophie, ne pouvait accepter les vues novatrices de Talleyrand[1]. Attaqué vigoureusement, le projet de celui-ci ne semble pas avoir rencontré de défenseur, et ce fut sans débat notable que le comité le tint pour caduc et non avenu.

II. — Le comité se divisa en un certain nombre de sections : la plus importante était la troisième, chargée d’étudier le plan général de la future instruction publique : de ses décisions devaient

  1. De Bry, Essai sur l'éducation nationale.