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s’endormaient dans le bonheur et tremblaient de se réveiller.

Cependant, peu à peu, Jeanne sentit que le silence devenait pour elle embarrassant et dangereux. Elle ne voulait pas que Louis pût deviner sa faiblesse, et cherchait quelque phrase indifférente pour rompre leur double émotion, il lui semblait aussi qu’une causerie douce et amicale calmerait le bouleversement de son cœur, mais la voix s’arrêtait dans sa gorge ; elle ne pouvait articuler un mot.

Louis, de son côté, aurait voulu, à cette heure d’abandon, heure unique peut-être, obtenir de Jeanne une parole qui ressemblât à un aveu, à une promesse, ou à une espérance. Il essayait de parler le premier, et ne pouvait réussir à entamer la question qui tenait sa vie suspendue. Les phrases qui lui venaient à l’esprit lui paraissaient ou banales ou gauches, ou niaises ou brutales.

Au milieu de la délicieuse harmonie de leurs cœurs et du silence enivrant qui laissait au bonheur présent sa plénitude sans engager l’avenir, toute parole était un bruit discordant, un brusque réveil, un douloureux rappel à la réalité.

Ils marchaient toujours, côtoyant les prés, les châtaigneraies, les champs en jachères. Tout à coup les chevaux s’arrêtèrent en hennissant, des chiens aboyèrent. Jeanne et Louis relevèrent la tête : la grand’porte de Mauguet était devant eux. Myon vint ouvrir ; le rêve était fini.