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passer, à côté de vous, le peuple en furie, acclamant tour à tour le 9 thermidor, le 21 prairial, le 18 brumaire. Ce devait être beau et terrible.

— J’ai vécu double, mes amis, dit-elle. Aujourd’hui, docteur, je suis plus vieille que vous. C’est une étrange chose, en effet, qu’un peuple en révolution ! À côté des grands événements, il y a les petites comédies. Près des statues colossales qui s’élèvent sur des ruines de granit, il y a les statuettes d’argile qui trébuchent sur la poussière. En regardant autour de soi seulement, et rien que la société qui s’agite dans un salon, on voit les mélanges les plus singuliers et les jeux plus intéressants. Je sais bien des choses. En révolution, comme il faut vivre vite, les artistes en palinodies prennent peu de ménagements ; aussi ai-je compris, jeune, ce qu’on ne sait d’ordinaire que tard. Mon esprit a mûri rapidement. J’ai perdu des illusions et des préjugés en gardant mes convictions : chose rare ! En bien des points, vous trouverez peut-être que je n’agis point selon ce que vous auriez attendu de moi. C’est que les luttes politiques, vues de près, enseignent l’indulgence. Vous auriez ri, malgré votre colère contre les démagogues, en voyant les terroristes de la veille, thermidoriens le lendemain. Je sais de fougueux jacobins qui sont devenus les humbles valets de Bonaparte, et dont Bonaparte ne voudra bientôt plus pour valets. Savez-vous, maintenant, quelle est la plus jolie prétention de ces messieurs les citoyens à bonnets rouges de 93 ? C’est d’être gen-