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Voyez quels tremblements, quelles agitations bouleversent un bambin de huit ou dix ans, si on lui refuse un objet envié, ou si on s’attaque à la personne qu’il aime entre toutes !… Vous parliez musique, n’est-ce pas ? eh bien ! quelques phrases des airs que vous chantiez alors m’exaltaient à me faire pleurer. Il y a des motifs du Déserteur et du Devin de village auxquels j’ai attaché tant d’émotions qu’ils éveillent encore les fibres les plus intimes de mon cœur. Je puis dire, sans mensonge, que je n’ai jamais entendu de musique qui les valût pour moi. Cependant, à Paris, j’ai écouté les opéras de Grétry, de Gluck, de Lesueur, etc., mais les échos de mon cœur n’ont répété que ces romances et ces duos, chantés ici par vous deux… Et vous êtes là, aujourd’hui ! Et si le clavecin n’était pas brisé, vous pourriez les redire !… Où est le passé ? Qu’est-ce que le présent ?… Y a-t-il quinze années entre ces deux temps ? En vérité, ces années n’existent pas pour moi… Ce sont des ombres,… des fantômes qui ont traversé une nuit de sommeil !…

— On ne se méfie pas assez des enfants de douze ans, dit Jeanne en souriant. Allons, Louis ! j’espère que vous passerez encore quelques bonnes heures dans ce salon et près de nous ! ajouta-t-elle en lui tendant la main.

Louis prit cette main, la serra longtemps et doucement ; ses yeux s’obscurcirent comme voilés par des larmes : — Si vous le voulez bien, murmura-t-il d’une voix émue.