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j’écoute… que j’entends… Ah ! comme je vivais alors !… Que de pensées tumultueuses dans ma tête ! que d’émotions violentes dans mon cœur d’enfant !

— Mais vous aviez douze ans à peine !

— Oui… et pourtant j’ai senti à cette époque des émotions si vives qu’elles ont dominé toute mon existence. Nous oublions, d’ordinaire, en prenant des années, nos passions enfantines ; mais si nous pouvions nous en souvenir, nous serions étonnés de leur développement et de leurs ravages. Il me semble, parfois, que l’homme dépense plus de forces dans sa première enfance que dans tout le reste de sa vie. Avez-vous songé au nombre d’opérations intellectuelles qu’il faut faire pour apprendre à lire ? Moi, j’en suis effrayé. Que de facultés mises en œuvre, qui se cherchent, se joignent, s’accordent, se combinent et agissent avec une précision merveilleuse ! À dix ans, je savais, comme presque tous les enfants de cet âge, lire, compter, écrire et déchiffrer la musique. J’avais appris tout cela. C’est-à-dire j’avais créé en moi des forces immenses en cinq années ; juste le temps que nous mettons plus tard à nous bourrer la mémoire d’axiomes de droit et de textes barbares. S’il se présentait aujourd’hui pour mon esprit pareil travail à entreprendre, certainement je reculerais. Je sens que je n’aurais plus la puissance de l’accomplir… Et comme nos désirs sont vifs aussi pendant les années d’enfance ! Comme nos antipathies sont franches et nos amitiés violentes !